Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

  

 

Afficher le texte en hongrois

TOURNANT DÉCISIF

 

Après des mois d’incertitude et de tension pénible, la monarchie donna enfin une tape à son épée et prononça le dernier verbe, explicita sa décision, en quatre mots : ou bien, ou bien ! Ou la paix sera, ou elle ne sera pas ! On croit entendre les paroles de Montecuccoli[1] à travers les ombres sanglantes de l’époque, lorsqu’il réclama trois choses : un : de l’argent, deux : de l’argent, trois : de l’argent ! C’est de la même façon que la monarchie clame aujourd’hui avec une forte certitude, et rappelle qu’elle a besoin de trois choses : ou bien, ou bien, ou bien. Ou nous faisons la paix, dit la monarchie avec un grave sérieux et une sévérité implacable, ou nous faisons la guerre, ou bien ne faisons pas la guerre, ou bien ne faisons pas la paix, ou bien faisons la non-paix, ou bien faisons la paix gue…, ou bien faisons la guerre …rre, etc. D’une source totalement fiable et bien informée nous apprenons la décision stupéfiante selon laquelle la monarchie a enfin tapé du pied et a déclaré que sa décision inébranlable est qu’après le tournant décisif selon toute vraisemblance cela sera remis en question. Dans des milieux militaires bien en cour on chuchote la nouvelle incontrôlable selon laquelle la monarchie, dans ce cas, si cela n’est pas possible autrement, néanmoins c’est douteux, sans même la préservation d’une chance pour la paix, en tant que condition des plus strictes, la monarchie est fermement prête à décider l’éventualité d’un tournant décisif. Après tout cela il n’est pas douteux non plus que dans le cas où même après la décision de la monarchie la survenue d’un tournant décisif puisse être supposée, une seule et unique voie s’ouvre pour y parvenir : cette voie unique consiste à émettre une hypothèse fermement et sans délai à propos de la paix ou de la guerre. Enfin le Ballplatz[2] y voit clair et est en plein accord avec cela. Par conséquent nous n’avons plus qu’une seule chose à faire, nous allons le voir dans ce qui suit : nous préparer à toutes les éventualités plausibles d’une guerre définitive.

 

Nos dépêches du jour sont les suivantes :

 

Londres, le 5 mai

Il ressortirait de la décision de la séance de jeudi que l’Autriche-Hongrie s’est résolue à un pas décisif. La nouvelle n’a pas encore été confirmée.

 

Londres, le 5 mai

On explique dans des milieux initiés que la décision de la monarchie est encore incertaine. Il n’y a qu’un seul point sur lequel tout le monde s’accorde : l’Italie coopère avec la monarchie.

 

Paris, le 4 mai

Dans le numéro de ce matin du Figaro on pense enfin fermement que l’Italie et la Russie lancent une action commune pour soutenir la monarchie. Cette nouvelle a été confirmée.

 

Paris, le 6 mai

Ici on a démenti aujourd’hui que la nouvelle selon laquelle la monarchie prévoirait d’attaquer la Russie aurait été confirmée.

 

Rome, le 4 mai

Ici on confirme aujourd’hui que la nouvelle selon laquelle la monarchie aurait envoyé un ultimatum de guerre au Monténégro aurait été démentie par quelqu’un.

 

Constantinople, le 7 mai

Nous apprenons d’une source sûre que la France a contracté une alliance défensive et offensive entre la Monarchie et le Monténégro. Dans la guerre future probable qui est inévitable, le Monténégro appuiera la Monarchie, qui d’ailleurs a déjà envoyé son ultimatum à Nikita, avec des armes et de l’argent.

 

Vienne, le 4 mai

On annonce de Cattaro que ce matin à quatre heures nos troupes ont envahi le Monténégro et qu’à cinq heures l’occupation était complète. La capitale du nouvel État sera Tápiósüly, alors que Püspökladány sera transféré en Albanie. Nous sommes au seuil de la paix.

 

Berlin, le 3 mai

Ici on s’attend de façon sûre à ce que la Monarchie recule et que le Monténégro s’enhardisse comme c’était son exigence depuis longtemps.

 

Pétersbourg, le 7 mai

En hiver il fait très chaud, en été il fait très froid. Mais il arrive parfois qu’il fasse froid en été et chaud en hiver.

 

Borsszem Jankó, 11 mai 1913.

Article suivant paru dans Borsszem Jankó



[1] Raimondo, Comte de Montecuccoli (1609-1680). Généralissime des troupes de l’empereur germanique.

[2] Ballplatz : siège du premier ministre de l’empire au centre de Vienne.