Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

 

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HUMOUR

 

Du carnet d’un écrivain débutant

 

(L’écrivain débutant constate, envieux que, tandis que son travail sérieux dans cette revue ne lui apporte pas le succès qu’il mérite, les humoristes, eux, sont carrément célébrés   à Budapest. Il décide qu’il consacrera ses son empressement bien connu à étudier sérieusement et en profondeur les méthodes de nos plus grands humoristes.)

 

 

 

PÉPITES D’HUMOUR

 

I. Le déjeuner de Monsieur Benő.

 

(Benő, le pauvre harcelé etc., chez lui etc., Madame son épouse etc.  etc. etc.)

Benő : Ma chère moitié, ma chère moitié !

Madame l’épouse : Tais-toi, Benő, tais-toi, Benő. Aujourd’hui une fois de plus j’ai dû exploser. (Ha, ha !)*

Benő : Je suis tout ouïe.

Madame l’épouse : Depuis quand ça t’intéresse si j’explose ? Tu t’en fous si j’explose. Tu t’en fous si j’explose à chaque heure. À chaque seconde je peux exploser. (ha, ha !) Oui, oui, ton épouse peut exploser à chaque seconde, Benő. (Ha, ha – ha, ha !)

Benő : Chérie, tu exagères. (Ha, ha !)

Madame l’épouse : Cause toujours. Pendant que je reste blottie à la maison et je m’énerve à mourir, je m’énerve avec la couturière, avec la bonne, avec la manucure, avec la coiffureuse (ha, ha !), avec la lingère, avec la modiste, avec le cordonnier, avec la modiste (ha, ha – ha, ha !), avec l’étameur, avec le cure-ongle (ha, ha – ha, ha – ha, ha !), avec le cure-oreille (ha, ha – ha, ha – ha, ha – ha, ha !), avec ma couturière (ha, ha, bien sûr elle ne mentionne même pas le ménage) – toi tu te reposes confortablement dans ton bureau, pour rentrer ensuite à la maison et dévorer tout ce qu’on t’a préparé. (Ha, ha ! Bien sûr elle ne mentionne pas que c’est Benő qui a gagné l’argent du ménage dans son bureau.)

Benő : Mais qu’est-ce qui cloche ma chère épouse ? (ha, ha ! Ici il l’intitule encore sa chère épouse.)

Madame l’épouse : Ce qui cloche pour ta chère épouse c’est justement qu’elle soit ton épouse. Tu poses la question ? Tu n’as pas vu le chapeau de Madame Sputz ? (ha, ha – ha, ha – ha, ha – ha, ha ! Le chapeau, bien sûr ! Elle doit vouloir un chapeau.)

Benő : Ah, son chapeau !

Madame l’épouse : Le chapeau de Madame Sputz. Cette femme vulgaire va chaque matin en chapeau faire la cuisine, pour que j’explose. Benő, tu supportes qu’on fasse exploser ta femme ? Qu’est-ce qui fait que j’ai mérité que tu tolères ça ? (Elle pleure.) (ha, ha – ha, ha ! Pleurer pour ça !)

Benő : Ma chère épouse, ne tombe pas dans les pommes ! (ha, ha !). Qu’est-ce que je dois faire ? J’irai voir Sputz. Je l’attraperai par le col. Je ne tolérerai pas qu’on te fasse exploser, ma chérie.

Madame l’épouse : Ne fais pas ça, mon chéri ! Vous risqueriez de vous brouiller et il te tuerait. Ça, je ne peux pas le permettre. Mais tu sais quoi ? Il y aurait une meilleure solution.

Benő (en tremblant) : C’est quoi ?

Madame l’épouse : Achète-moi un chapeau à moi aussi. (Benő tombe dans les pommes.) (ha,ha - ha,ha - ha,ha - ha,ha - ha,ha ! Elle finit par cracher qu’elle avait envie d’un chapeau. Bien sûr, elle avait organisé toute cette scène pour ce chapeau. Quelle finesse dans la description des caractères. Les femmes sont comme ça. Ha, ha ! – ha, ha !)

 

 

II. Monsieur Benő à la maison.

 

(Benő, toujours le même etc., à la maison etc.)

Benő : Eh bien, ma chère moitié, etc.

Madame l’épouse : Benő, etc., j’explose, etc.

Benő : Eh bien, etc.

Madame l’épouse : Chapeau etc., tombe dans les pommes etc., etc., description raffinée, etc., ha, ha – ha, ha, etc., etc. etc.

 

 

* Pour ceux qui ne comprendraient pas, sont partout marqués par « ha, ha » les endroits où il y a de l’humour, accompagnés éventuellement d’une courte explication.

 

Fidibusz, 30 avril 1909.

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