Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
zigomar
a, ha, ha ! Mon
cher rédacteur !
Ha, ha, ha ! Qu'est-ce que
vous avez à me regarder comme ça ? Je n'ai aucun problème, tout va bien.
Je ne fais que rire. Si mon rire est un peu bizarre, qu’est-ce que ça
fait ? D'accord, mes yeux tournent un peu, où est le mal ? C'est mon
habitude. Vous me demandez, Monsieur le rédacteur, ce que c'est que le Zigomar.
Vous ne sauriez pas ce qu'est le Zigomar ? Vous êtes un homme perdu, vous
allez perdre vos cheveux, vous allez chopper la gangrène aux pieds parce que
vous ne connaissez pas le Zigomar. Vous louez des appartements, vous licenciez
des gens, si Zigomar. Vous utilisez Zigomar. Zigomar teint, blanchit, Zigomar
est la perfection des eaux purgatives. Savez-vous zigomarer ? Ha, ha, ha. Parlez-vous
zigomar ? Ha, ha, ha.
Zzzzz.
Ne vous énervez pas, Monsieur le rédacteur. Moi j'ai l'habitude de faire zzzz.
Ce n'est rien. C'est une consonne. Mais elle se trouve en ce moment partout,
sur les affiches, les murs des immeubles, les bannières et les blasons. Zzzz.
Je vous la chuchote à l'oreille, Monsieur le rédacteur, oh, horreur. Cette
lettre z, c’est Zigomar. Zzzz. Allons, ce n'est pas une raison pour vous
affoler et chercher le bouton de la sonnette. Monsieur le rédacteur. Zzzz. Même
les mouches zonzonnent zzzzigomar.
Ma femme chérie. Le floc qu'a fait son crâne. Quand je lui ai lancé la
bouilloire à
Ha,
ha, ha.
Ha,
ha, ha, ma pauvre femme. Es-tu allé au Zigomar ? -
m'avait demandé ma pauvre femme. Que penses-tu de Zigomar ? Ma femme
chérie, ma douce moitié, je lui ai dit, oui, j'ai été au Zigomar. J'ai été à
l'Apollon, et j'ai regardé le Zigomar, avec un verre bleu, en train de danser
langoureusement au sommet de l'Himalaya dans l’épave d'une épave d’automobile.
J'ai été à l'Odéon, j'ai regardé le Zigomar à rebours, quand il rampe à travers
son propre cheveu et l'armée balkanique lui grimpe par-derrière avec des
échelles, et pendant ce temps la pyramide de Khéops prend brusquement feu, et
le Zigomar prend part à l'élection du nouveau pape, et il fusille tout le
monde. J'ai été à l'Omnia et au Trocadéro et au Royal
et à l'Edison et au Cinoche de Ferencváros[1],
et Zigomar était là partout, et il a zigouillé tout le monde, et Zigomar est
arrivé chaque fois à la dernière minute et, zzzz, il pointait son pistolet sur
moi dans le noir, et il m’a envoyé une balle dans le ventre et dans les boyaux.
Hé, hé, hé, je ne suis pas nerveux, ma chère et douce moitié, j’ai dit. C'est
une habitude chez moi de claquer des dents, ma chère et douce moitié. Je fais
simplement claquer mes dents, clac, clac. Qu'est-ce qu'il y a à avoir peur
là-dedans ? Moi, je ne fais que te tirer dedans, sacré nom de Dieu de
putain de Zigomar céleste. Je ne fais qu'écraser tes entrailles, simplement
parce que tu m'as demandé si j'étais allé au Zigomar. Ha, ha, ha. Hé, hé, hé.
Alors je l'ai zigouillée. Ha, ha, ha. Mes pauvres enfants m'ont donné raison,
ils revenaient eux aussi du Zigomar, ils ont vu le Zigomar à l'épicerie, ils
ont dit : avec le pistolet, petit papa, avec le pistolet, puis ouste, à l'automobile,
l'auto grimpe un peu le mur, elle traverse la cheminée, elle se précipite à la
mer, s'échappe du film, et tout va bien. À la rigueur on incendie encore
quelque chose. N'est-il pas vrai ? Ha, ha, ha.
Bon, ce coup-ci j'ai pris le
rythme. Ma tante de la campagne avait bien écrit à mon père : ce garçon
finira mal. Weisst du nich,
Adolf, was bedeutet das, Zigomar ?[2]
Ce garçon est en train de mal tourner, toute la journée il ne fait que zigomarer, il devient zigozinzin,
zigomaniaque. Il se fait détraquer du zigomar dans
cette saleté de Pest, je l'ai croisé l'autre jour, il est déjà tout pâle, ses
yeux sont tout cernés. Voilà où ça mène quand on abuse du Zigomar.
Ha, ha, ha. N'est-ce pas que
c'est ridicule, Monsieur le rédacteur ? Mon cher Zigus,
cher Zigui. Vous n'êtes qu'un Zigomar ordinaire.
Comment ? Comment vous dites ? Qu'il faut monter dans la
voiture ? Vers Buda ? Vers Lipótmezö[3] ?
Qu'on m'y donnera de beaux habits tout neufs au zigomar ? Ha, ha, ha. Heu,
heu, heu. Bon, allons-y. C'est vous le Zigomar ? Avez-vous vu le Zigomar
de nuit ? Zautons dans l'auto. Sacré nom d'un
Zigomar. Ha, ha, ha !
Világ, 24 septembre 1911.