Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
I.
- Eh ben, bois donc toi itou, frère
Allemand…
- Danke, ich trinke nur Bier.[1]
- En voilà une
panse qui fait la difficile.
II.
Cher Ernő,
… tu
vois, je passe mon temps assis sur le bord de la tranchée,
moi, pauvre
lieutenant d’infanterie… On vient de caser des soldats allemands aussi dans notre section,
ils côtoient maintenant nos Magyars bien de chez nous : ce qui fait que
les jours calmes on se la coule douce, comme maintenant quand je t’écris, ils
ont mis en perce une barrique de Schiller, cadeau du colonel. Pista Bagyi est en train de rabrouer un des Allemands qui ne veut
pas boire.
Géza.
III.
- Docteur, puisque vous
partez en voyage…
- Oui, dans deux jours je
serai en Suisse. Qu’est-ce que vous tenez là ?
- Rien, un ami lieutenant
m’a écrit du front…
- Qu’est-ce qu’il
écrit ?
- De petites choses à propos
de son unité… Il dit que Pista Bagyi rabroue
justement un Allemand qui ne veut pas…
- Pardonnez-moi, je suis
pressé, je ne veux pas rater le train… Bon courage, cher ami.
IV.
- Mais, cher Docteur, vous
ici, en Suisse ?
- Et vous, Rédacteur ?
- Ben oui, j’ai fait un
saut, je suis venu aux nouvelles… Vous savez, à Paris on ne sait rien. Où
avez-vous roulé votre bosse depuis la dernière fois ?
- J’ai un peu visité la
Hongrie. J’suis allé à Budapest.
- Auriez-vous un tuyau pour
moi, un tuyau utile ? Des Austro-Boches !
- À quoi bon le nier, ils
font du bon boulot.
- Cela dépend… Au front,
vous n’êtes pas passé ?
- Juste comme ça, pas trop
loin…
- Ils sont maintenant tous
ensemble, cul et chemise, nous, les austro-boches, les boches, les
Hongrois !
- Ben, je ne sais pas… Une
de mes connaissances hongroises m’a rapporté que les soldats hongrois se
chamaillent beaucoup avec les Allemands.
- Vraiment ?
V.
Paris, le 16 août 1915.
On rapporte de Suisse au Figaro : Un fonctionnaire de haut rang dont le nom ne peut
être divulgué a eu un entretien avec un membre important du parti
social-démocrate allemand qui lui a révélé que des différends sérieux se sont
élevés dans les cercles des états-majors allemands et autrichiens. Des
officiers autrichiens ont paraît-il conclu un contrat secret en vue d’une
association pour faire contrepoids à la terreur des officiers allemands, qui
pourra…
VI.
L’Allemagne contre l’Autriche
(L’union s’effiloche !)
Paris, le 17 août 1915.
On annonce de source digne de foi
en passant par les Pays-Bas : dans les milieux officiels on est sûr que
les oppositions sérieuses qui depuis des mois ne cessent de s’aggraver entre
l’Allemagne et l’Autriche doivent dans un proche avenir très probablement atteindre
un point de non-retour. Des personnes bien informées pensent avoir eu
connaissance d’une déclaration de l’Empereur Guillaume qu’il aurait faite
devant un large public et selon laquelle si l’Autriche ne change pas son
attitude provocante, il pourrait bien lui arriver ce qui est arrivé à cet
autre, saperlothimmelsakrament ! Selon des
personnes compétentes, une telle déclaration pourrait entraîner de lourdes
conséquences diplomatiques…
VII.
Londres, le 18 août 1915.
Selon un rapport téléphonique au London Stupid,
l’incident rapporté même par les journaux parisiens a provoqué un éclat pénible
dans les cercles militaires. Nombreux sont ceux qui prétendent que c’est
Hindenburg qui a commencé la bagarre et le chef d’état-major autrichien dont
ils ont tu le nom n’a fait que se défendre avec sa canne ; d’autres
affirment qu’ils se sont battus en se roulant par terre…
VIII.
La guerre de l’Allemagne et de
l’Autriche !
Avant la déclaration de
guerre !
!! Ils en ont assez l’un de
l’autre !!
! Nouvelle guerre
mondiale !
Paris,
le 19 août 1915.
Az Újság, le 22 août
1915.