Frigyes Karinthy : "Nouvelles parues dans la presse"

 

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Souvenir de quatorze

 

LE RICHE PARENT

 

"Novoïe Vrémia" écrit que la Russie considérera quand même Pétar comme son roi.

Mon cher parent,

j’ai reçu à l’instant la lettre que tu m’as envoyée par le coursier, je te remercie d’avoir pensé à moi, crois-moi, je ne suis pas un homme froid, au cœur dur, qui se refuserait à un parent pauvre, tu vois, je te réponds aussitôt.

Tu m’écris que depuis ce matin tu te trouves au commissariat de police, on t’a arrêté et emmené dans le courant de la nuit, et apparemment ils ne comptent pas te relâcher, sauf si d’urgence il ne se passe quelque chose. Allons, allons, comment est-ce arrivé ?

Tu as oublié  de m’expliquer dans les détails ce dont il s’agit, ce que je regrette, car crois-moi, je ressens une compassion sincère pour toi, ce que tu as déjà pu éprouver de nombreuses fois. Pourtant, que pendant ce temps tu aies aussi pensé à moi, ne serait-ce que de façon lointaine, cela, je le déduis de ta déclaration dans laquelle tu affirmes que puisque c’est moi qui t’ai poussé à la chose, maintenant c’est à moi de te sortir du pétrin. Là-dedans, si je le vois bien, on trouve une allusion cachée et inconsciente (ce que tu n’as peut-être pas remarqué toi-même, je te le signale) à ce que j’avais quelques idées de ton intention, et je dois avouer que si je fais un effort de mémoire, il me semble aussi que j’avais remarqué à quoi tu te préparais. Lorsque la dernière fois je t’ai rendu visite (c’est peu de chose, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, je n’ai pas honte de mon parent pauvre) et je t’ai dit en plaisantant, que ce serait pas mal que quelqu’un cambriole le riche Alföldy et m’apporte les documents en question, tu m’as répondu par un regard bizarre et tu m’as demandé pourquoi je ne le fais pas moi-même. J’ai poursuivi la plaisanterie, et d’un air faussement sérieux je t’ai répondu que moi en tant qu’homme public je ne peux pas le faire, mais si tu le faisais, tu ferais une bonne affaire, parce que la moitié du résultat te reviendrait. Sur quoi tu as continué le jeu et tu as demandé ce qui se passerait si Alföldy se réveillait et faisait un grand chambard. Là-dessus moi, chauffé par le jeu, je t’ai donné un revolver et du chloroforme, mais toi, tu as continué le jeu et tu aurais voulu aussi savoir ce qui se passerait si l’affaire n’aboutissait pas, ce sur quoi moi, afin de clore d’une idée frappante cette farce très plaisante, mais déjà un peu trop longue, je t’ai dit que le capitaine Miklós Grey et le procureur Karcsi Poén sont de bons amis à moi, ils arrangeraient l’affaire si bien que tu n’aurais aucun ennui, pas même si tu étais pris sur le fait.

Je me réjouis, mon cher parent, que tu aies pensé à moi car cela me montre que tu ne peux pas être dans un véritable état de tristesse psychique, puisque tu as la force de penser à des gentils jeux et à des plaisanteries et tu te dépêches de me les rappeler pour que j’aie aussi de quoi m’amuser. Par gratitude je te raconte en retour une autre plaisanterie que j’ai lue ce matin dans le Journal Amusant : un homme tombe du quatrième étage, et quand il est au niveau du premier, il se dit, jusqu’ici tout va bien, pourvu qu’il ne m’arrive aucun désagrément quand je toucherai le sol. Elle est drôle, n’est-ce pas ?

Mais ne dévions pas de notre sujet, mon cher parent. Moi, je te remercie, je vais bien, j’ai peut-être pris un peu froid, j’ai dû faire un voyage d’affaires en Pologne, rapidement. Málcsi est souffrante elle aussi, mais tonton Miklós va bien, figure-toi, ils viennent d’avoir un petit garçon ; ils sont partis en vacances dans le Caucase. Et toi, comment vas-tu ? Comment te portes-tu ces derniers temps, bien j’espère, nous devons être diligents et Dieu nous aidera, et la pauvreté n’est pas une honte, crois-moi. Ah oui, tu écris aussi, j’ai failli l’oublier, que tu as un petit pépin, tu te trouves au commissariat ou quelque chose comme ça. Comment cela a-t-il pu arriver ? Un délit peut-être ? As-tu marché sur une pelouse ? Ou aurais-tu manqué de payer l’impôt sur les chiens ? Cela me dépasse. Eh oui, mon ami, on doit faire très attention, nous vivons dans un monde plein de lois. As-tu ouï dire qu’il y a aussi une guerre ? D’ailleurs je devine pourquoi tu ne le mentionnes pas, même si tu ne l’explicites pas ; écoute, cesse d’être aussi pudique, combien de fois t’ai-je déjà dit que tu ne dois pas avoir honte devant moi, enfant que tu es. J’ai très bien compris ce que tu rechignes à m’écrire, que tu évoques ce désagrément à la police parce que tu n’as pas d’argent sur toi et tu n’es pas capable de régler le petit coursier que tu as envoyé chez moi. C’est un enfantillage, cela ne mérite pas d’en parler, je le réglerai. Un jour, quand tu auras beaucoup d’argent, tu me rembourseras, d’accord ?

Tu peux voir par-là que je suis pour toi un parent aimant et affectueux, ne crains donc rien/ Chaque fois qu’il t’arrivera ce genre de pépin, tu n’auras qu’à me faire signe en toute confiance. À bientôt.

 

Az Újság, 31 octobre 1915.

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