Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
Très honoré Monsieur le Rédacteur,
Permettez-moi, je
vous prie, de soulever dans votre très honoré journal auquel, au demeurant,
j’ai l’honneur de collaborer, une question, pour moi très gênante et très délicate ;
question que je n’aborde pas volontiers, mais votre déclaration à propos de
certaines actualités politiques me contraint malgré tout à le faire. Comme vous
avez certainement l’honneur de le savoir, j’ai horreur que ma modeste personne
fasse l’objet de débats publics. Je ne prendrais certes pas la parole si dans
cette situation, pour moi si gênante, je le répète, je ne me sentais pas obligé
de réfuter comme il se doit certaines allégations de la façon la plus ferme,
vigoureusement sans tergiversations ni atermoiement, ni délai !
Il est je pense
superflu de remarquer que ma présente intervention est en rapport avec la crise
ministérielle en cours. Très honoré Monsieur le Rédacteur, je veux, oui, je
veux aller au-devant de certaines suppositions irréfléchies, n’hésitons pas à
le dire, irréfléchies et prématurées, oui, prématurées, de certains cercles
politiques ou sociaux mal informés qui, à propos de la crise ministérielle et
des hypothèses concernant la personne du nouveau ministre, s’essaient au
sensationnel à bon marché par des affirmations et des données fausses qui
éclairent imparfaitement le fond de la question.
Très honoré Monsieur
le Rédacteur, mon cher collègue, j’ai toujours été animé d’une franche et
chaleureuse sympathie envers mes collègues journalistes à la rédaction, et je n’y
manquerai jamais, je le répète, jamais – j’y suis bien connu et j’ai la
réputation de ne pas être homme de paroles inutiles. Cette fois encore, comme
toujours, c’est d’un cœur chaleureux et ému que je pense à ceux parmi lesquels
j’ai passé tant de belles journées, et qui savent parfaitement à mon sujet que
j’ai toujours été un collègue compréhensif et, disons-le carrément, un
compagnon fidèle ; personne ne parlera de cachotteries ou d’astuces
diplomatiques de ma part si dans votre très respecté journal je proteste sans
vanité et sans les verbeuses explications habituelles des déclarations
politiques, simplement mais fermement, contre ce que l’on jette ma modeste
personne en pâture à des allégations mensongères.
En conséquence, très
honoré Monsieur le Rédacteur et, je le répète, mon cher collègue, je demande
ici publiquement à votre très respecté journal d’annoncer au public que je
déclare fermement que jusqu’à présent je n’ai reçu aucune proposition
ni invitation concernant la formation d’un nouveau gouvernement ; je
n’ai mené ni officiellement ni officieusement aucun entretien, aucune
négociation pour fonder le programme politique du nouveau gouvernement ;
et enfin, personnellement concernant le sujet susdit, je n’ai reçu jusqu’à
cet instant aucune notification officielle ni officieuse sous une
forme quelconque.
Je me considère comme
un simple ouvrier de la culture hongroise, de la société hongroise, de la
langue hongroise, et je suis entièrement satisfait du modeste cercle dont le
service fidèle et respectueux a toujours constitué l’unique objet de mon
ambition. Mes amis que, je le répète, je n’oublierai jamais, savent bien que je
n’ai à aucun moment fait étalage de mes convictions politiques dans le but
d’user de ce moyen pour me donner de l’importance. Au cas où malgré tout courraient
donc certaines hypothèses précoces et aventureuses dans ce sens, je n’y suis,
n’ai été et ne serai pour rien. Quelles que puissent être mes convictions, je
ne les ai jamais liées à ma personne, par conséquent c’est l’âme apaisée et
dans une attente tranquille que je peux regarder l’avenir quel qu’il soit, à
quelque place qu’il me porte – car où qu’il me porte je resterai convaincu
solidement et inébranlablement – et je le clamerai, oui, Messieurs, ouvertement
et virilement jusqu’à mon dernier souffle – que la Hongrie a vraiment
besoin de certaines réformes, oui, n’hésitons pas à le dire, des réformes
doivent absolument faire l’objet de réflexions ! Quiconque formera le
nouveau gouvernement quel qu’il soit, moi, pour ma part je ne cesserai pas de
clamer, sans tenir compte des regards et des positions en amont et en aval, que
la législation hongroise doit étendre son attention à des concertations et des
réflexions sur certains points substantiels !
Pour l’heure il
serait prématuré de se déclarer sur les autres questions brûlantes dont
l’appréciation fait encore l’objet de spéculations.
Je vous prie
humblement de publier ce qui précède ; veuillez, très honoré Rédacteur,
agréer au nom de vos collègues comme de mes collègues, mes salutations les plus
distinguées et l’assurance que j’ai tout trouvé parfait à la rédaction, ce
dont, le cas échéant, je ne manquerais nullement de faire état si un jour il
m’arrive d’avoir à inclure cela dans un rapport.
Fidèlement vôtre
Karinthy
P.S. : Par
ailleurs, à propos de cette affaire d’hier, ne manquez pas de la porter au
compte de l’édition. Il serait prématuré aujourd’hui de la remettre à plus
tard.
Pesti Napló, le 26 mai 1917.