Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
(De notre correspondant particulier)
Un numéro
spécial du "Sunday Liar"[1] à New York rapporte qu’un
milliardaire américain, n’épargnant argent ni fatigue, est entré en contact
avec la personnalité politique suisse qui, selon des sources que l’on nous dit
dignes de foi, est en contact permanent avec des cercles révisionnistes suédois
bien placés pour avoir une vue sur les affaires internes d’une connaissance
intime de personnes proches des habitués des affaires intérieures russes. Ce
sous-officier de haut rang qui, compte tenu du caractère extrêmement délicat de
l’affaire, ne souhaite pas nommer l’individu qui dévoile uniquement
qu’il a eu un certain comportement face à certains événements ; une
certaine, parmi ces personnes, donc, l’a mis en contact avec B.X.+4c2e, un des
principaux fulminants du parti cellulose qui souhaite prochainement rencontrer
un bon connaisseur du mode de vie actuel de l’ex tsar, dans le but d’obtenir
une audience afin recueillir certaines informations qui, compte tenu de la
nature de la chose, ne supportent naturellement pas la publicité.
Par la suite ce sous-chef
ornithologique jouissant d’une position de la plus haute importante a présenté
un émissaire de la société en question à B.Gr.
fabricant d’empeignes, qui ne peut pas dévoiler sa profession, avec mission de
lui fournir des éclaircissements sur la base de tâtonnements de certains
milieux politiques.
Mais passons la parole à
l’excellent philatéliste.
Après que Z.B. m’a fait jurer de
ne parler à personne de ce qui s’est passé et de tenir compte tout spécialement
de H. que je ne devrai plus jamais revoir après sa présente visite, il m’a
amicalement serré la main et m’a invité à venir le voir mardi dans son bureau
du gouvernement général de l’arrondissement de Sz…
À l’heure indiquée une automobile à deux places s’est arrêtée devant ma
résidence, mais peu après elle a redémarré sans me permettre de monter à bord.
Cette prudence extrême était apparemment destinée à induire en erreur ceux qui
auraient pu croire que j’ai coutume de circuler en auto, ce que je je suis en droit de supposer compte tenu du fait qu’une
demi-heure plus tard une autre voiture s’est arrêtée devant le porche de
l’immeuble en face.
Nous nous sommes constitués et
5+5, après m’avoir fait signer le certificat de revaccination, m’a invité
solennellement à patienter jusqu’à ce qu’il me dise ce que j’ai à faire.
J’ai été conduit dans une grande
salle rectangulaire où la haute personnalité que j’ai mentionnée m’attendait
déjà et dont je ne pourrai dévoiler ni l’encolure ni la pointure. Il m’a
ausculté, il a palpé ma petite insuffisance en valves cardiaques, puis il m’a
accompagné dans la pièce voisine.
Sn. B. Fglv. s’y trouvait déjà, il m’a prié de prendre place et
après avoir brièvement réglé un certain nombre de questions de nature à
interdire d’en parler pour le moment, il s’est également assis. Le presbytérien
m’a ensuite demandé en souriant :
- Ainsi vous aimeriez savoir
comment vit le Tsar en captivité ?
- Oui. Le prince Cz. m’a
autorisé à vous dire que, si ma personne n’est pas pour vous une garantie
suffisante, vous pouvez vous adresser à lui par téléphone.
- Inutile, remarqua d’un
geste léger de la main le commandant de haut rang, mais promettez-moi de ne pas
écrire mon grade.
- Je vous le promets.
Vous pouvez imaginer, ma chère
tante Stéphanie, l’excitation avec laquelle je l’observais.
- Eh bien, le Tsar vit une
vie passablement monotone depuis qu’il est en captivité.
- Prodigieusement
intéressant.
- Le matin il se lève à
l’heure habituelle. Tantôt à huit heures et demie, tantôt à neuf heures, tantôt
à dix. Parfois à dix heures et demie, mais en tout cas tous les jours à la même
heure. Pour le petit-déjeuner il boit jour après jour le même café ou thé ou
chocolat. Tous les matins il se promène une ou deux heures dans le parc à
l’exception de matinées où il n’a pas envie de se promener. Après cela il prend
son déjeuner.
- C’est effroyable,
chuchotai-je. Et l’après-midi ?
- L’après-midi il tue
normalement le temps à quelque chose. Des fois il se lève et va à la fenêtre.
- Pour regarder
dehors ?
- Oui, j’ai plusieurs fois
observé qu’il a regardé dehors. Le plus souvent à des moments où il faisait
encore jour.
- Et ensuite ?
- Ensuite, quand il a fini
de passer l’après-midi, en général il va se coucher. Non sans avoir pris son
dîner.
- Et le lendemain ?
- Le lendemain de même.
Le mécanicien me lança un regard
lourd de signification. J’ai senti qu’il ne pouvait en dire davantage et j’ai aussitôt
pris congé.
Pesti Napló, le 5 juillet 1917.