Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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un petit service de renseignements

 

Haparanda, 11 septembre.

Il paraît qu’hier Kerenski a été assassiné par des inconnus.

 

Stockholm, 11 septembre.

Selon une communication qui nous est parvenue, la rumeur incontrôlable selon laquelle Kerenski n’a pas été assassiné s’est soudainement répandue à Petrograd hier. Le communiqué transmis sous toutes réserves n’a pas encore été confirmé.

 

Petrograd, 11 septembre.

De New York : là-bas Kerenski n’a pas été assassiné.

 

New York, 11 septembre.

On annonce d’Athènes : aucun communiqué concernant Kerenski n’est parvenu ici.

 

Tsarskoïé Selo, 11 septembre.

Paris : Kerenski a été poignardé dans la poitrine ici, entre le mollet et la troisième vertèbre synoviale, ce matin à 7 heures 82 minutes par un homme brun, de grande taille à qui il manquait deux dents de devant, en poussant ce cri : « Salaud, pourquoi vous ne buvez pas de rhum Gotschlig ? ». D’autres détails manquent, mais peuvent être fournis sur demande.

 

 


 

Kiev, 11 septembre.

On dément officiellement que Kerenski aurait assassiné Raspoutine. Le démenti n’a pas encore été confirmé.

 

Turkestan, 11 septembre.

On annonce via Christiania : d’un lieu bien informé nous est parvenu qu’il n’y a pas un mot de vrai dans l’attentat commis contre Kerenski. L’erreur s’explique probablement par le fait que Kerenski a été trouvé baignant dans son sang sur la Niassem Prospekt alors qu’une funambule italienne, qui par ailleurs est députée à la Douma était en train de plonger un grand couteau de cuisine gradué d’une échelle centimétrique dans les poumons de l’ex premier ministre qui quelques minutes plus tard expirait.

 

Londres, 11 septembre.

De Lugano : le blanchisseur qui, la nuit du lundi au mercredi, donc en plein jour, devant l’épicerie de la rue Kerenski a empoisonné Kerenski de trois coups de revolver, est arrivé aujourd’hui à Sarajevo et a démenti les communiqués concernant la détérioration de la santé de Kerenski.

 

Petrograd, 11 septembre.

Aujourd’hui Kerenski a proclamé devant les Bolcheviks l’importance de l’autonomie du territoire douanier hongrois.

 

Moscou, 11 septembre.

De Paris : Contrairement à des nouvelles répandues dans nos journaux selon lesquelles Kerenski aurait été assassiné, j’ai été autorisé à rendre public que le Kerenski assassiné n’est pas à confondre avec Kerenski, le premier ministre russe : il s’agit d’un autre Kerenski qui s’appelle en fait Félix Schvamm, au demeurant il est fabricant de luminaires à Hambourg et, malgré ses grosses pertes récentes au jeu, il vient de rouvrir son usine. Félix Schvamm a enduré voilà deux ans une grave crise d’appendicite à Murano et ces derniers temps il était déjà tellement souffrant que personne n’a pu être surpris d’apprendre qu’hier enfin un train l’a écrasé.

 

Philadelphie, 11 septembre.

Il nous est demandé de publier ce qui suit :

Démentant l’affirmation malveillante du Kerenski assassiné, je déclare n’être en aucune façon lui et que dans l’avenir aussi je réfuterai toute insinuation allant dans ce sens.

 

Londres, 11 septembre.

La rumeur s’est répandue ici ce matin que Grey dont on avait prétendu par erreur qu’il était mort, a ce matin assassiné Kerenski.

 

Washington, 11 septembre.

Contrairement aux fausses nouvelles concernant la mort de Kerenski, il a été confirmé que Grey à propos duquel on a soudain appris hier soir qu’il était encore vivant, a été victime d’un attentat demain après-midi. On ignore pour le moment le nom du frère du meurtrier.

 

Varsovie, 11 septembre.

Ce matin à sept heures et demie, selon les différents communiqués qui nous sont parvenus, Grey n’est pas identique à Kerenski dont hier nous avons démenti le démenti annonçant le décès. Raspoutine est arrivé à Moscou.

 

Moscou, 11 septembre.

Ce matin à 8 heures 60 minutes, Grey, Kerenski et Raspoutine sont tombés victimes d’un attentat à la suite d’une goutte pulmonaire unilatérale. D’après le pasteur qui a administré les sacrements aux cadavres, la nouvelle n’est pas encore confirmée.

 

Tomsk, 11 septembre.

Kerenski, Grey et Raspoutine sont vivants.

 

Irkoutsk, 11 septembre.

Aujourd’hui, jour du cinquantième anniversaire de la mort de Kerenski, on a inauguré le monument funéraire du grand poète. À cette occasion Kornilov a remis à la veuve, accompagné d’un beau discours, le démenti des nouvelles annonçant le décès de Kerenski, relié dans un étui d’argent.

 

Jakoutsk, 11 septembre.

Maurice Kerenski senior a le plaisir de vous faire part de la naissance d’un enfant mâle bien portant auquel son épouse, veuve Miksa Kerenski vient de donner le jour et qui, tout comme sa mère, malgré l’attentat à l’issue fatale dont il a été victime, se porte à merveille.

 

Et moi, je suis complètement Kerenski.

 

 

Pesti Napló, le 13 septembre 1917.

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