Frigyes Karinthy : "Nouvelles parues dans la presse"

 

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Tram

Il paraît que jeudi on va tout de même revenir sur ce nouveau règlement des trams ; nombreux sont ceux qui pensent qu’il n’a pas franchement fait ses preuves. Pourtant durant quatre semaines la commission avait assidûment cherché une solution pratique au problème. C’est Son Excellence Kázmér Automobil qui a présidé les séances du groupe de travail délégué dans le cadre desquelles d’excellents spécialistes et des professeurs, sans mesurer le temps et l’argent, ont communiqué le dossier aux jeunes et enthousiastes auditeurs du conseil.

Ils ont présenté la coupe du tram en position couchée et debout, à tous les stades de son évolution, comme simple embryon de tram, comme cocon, comme gigantesque spécimen complètement développé, avec le système complexe de ses organes briseurs et écraseurs, sur des cartes géantes, à l’aide de projecteurs. Pendant des mois des mécaniciens ont travaillé sur les petits modèles précis et méticuleux sur lesquels les experts du laboratoire du Séminaire d’Ergonomie du Paysage dans les Transports avaient conduit leurs expériences, afin de déterminer s’il est possible de monter à l’arrière et de descendre à l’avant. Les petits modèles de trams avaient été construits par des hommes qui avaient juré sous serment avoir déjà vu en liberté de vrais trams sauvages, et qu’ils ne travaillaient pas exclusivement d’après les indications tecniques des manuels ; et malgré tout cela, comme l’atteste le résultat, les expériences n’ont pas été concluantes. Pourtant l’Institut Physiologique avait mis à la disposition de la commission tout une armée de souris blanches, de cobayes, de hérissons huppés, de poules talagalles, de dasypes australiens et quelques espèces tout à fait rares comme des serpents à bec de Patagonie, afin de déterminer à l’aide de ces animaux de laboratoire si on pouvait monter à l’arrière et descendre à l’avant. Les expériences se déroulèrent pendant des semaines à l’institut, on lâchait par l’arrière dans le petit modèle de tram maintenu à une température de 23 °C des souris danseuses japonaises, et en tenant compte également des données barométriques, ils ont calculé avec précision qu’en cas d’éclipse totale de Lune, au périhélie de Mars et de Vénus, de combien de temps ont besoin les petits animaux vaccinés au beurre de guerre pour descendre à l’avant, par le premier perron ; sans oublier un petit instrument fin qui, à l’intérieur du modèle de voiture ne laissait passer les souris expérimentales qu’après avoir d’abord percé un petit trou dans leur oreille, correspondant exactement à l’opération du poinçonnage des tickets.

Au bout de quelques semaines d’un travail diligent ils ont  mis fin avec succès aux expériences et aux calculs, ils ont extrapolé les résultats aux dimensions voulues et les ont transmis pour avis au conseil consultatif délibératoire, lequel, recoupant les conclusions des données strictement scientifiques a abouti à la conclusion que selon l’état actuel de la science, la solution la plus correcte est la plus opportune du problème était bel et bien le système appelé "montant derrière, descendant devant". Ils ont communiqué cette conclusion à la direction de l’observatoire de Greenwich ainsi qu’au directeur général de la police de Budapest, par conséquent ce dernier a immédiatement publié le nouveau règlement.

Cela fait déjà huit jours, et les obstacles à la mise en application du règlement ne seraient pas arrivés ce jour à l’examen si l’observatoire de Greenwich n’avait pas alerté la commission par l’étude approfondie et détaillée d’une erreur qui s’était glissée dans leur modèle. Il s’est avéré que l’endurance aux charges du foie d’une souris dansante japonaise, après compensation des paramètres, est presque 1,5 fois plus grande que la dureté moyenne des cors aux pieds des citoyens de Budapest.

Par conséquent ces données erronées ont faussé les résultats, il convenait de réviser d’urgence les calculs.

D’après ce que l’on sait, la commission s’est réunie une nouvelle fois et s’est remise au travail. Néanmoins, avant d’en venir à de nouveaux résultats et avant de nous réveiller jeudi prochain avec une nouvelle solution, sous la forme d’un règlement quelconque en vertu duquel, mettons, à partir du premier du mois prochain, on ne pourra monter que par-dessous le tram et on ne pourra descendre qu’à travers le phare du tram suivant ou, mettons, on ne pourra monter qu’à quatre pattes et avant de descendre il faudra d’abord faire trois fois le tour du conducteur en slip de bain et en courant, avant, disais-je, de publier un nouveau règlement salutaire de ce genre, je me permets d’avancer ma modeste proposition. Que Messieurs les membres de la commission soient conduits une bonne fois dans la rue et qu’il leur soit montré un tram vivant, bien réel, je dirai même plus, si leur état de santé le leur permet et si l’examen médical les reconnaît aptes à cet exercice, qu’au moins l’un d’entre eux soit hissé et assis dans un tram et qu’il soit transporté de la Gare de l’Est jusqu’à la rue Lajos Kossuth.

 

Pesti Napló, le 18 août 1918.

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