Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
Notre
collaborateur a le plaisir d’annoncer qu’il a réussi à faire parler les
principaux représentants de l’état-major major et à en obtenir des propos qui peuvent être considérés comme
décisifs concernant notre sujet. Et le plus important est que ces déclarations,
faites sous leur entière responsabilité, sont à tous égards officielles
et définitives – ces personnalités ont autorisé notre collaborateur à
les rendre publiques sans réserve, une sincérité qui, en ces temps de censure,
a tout pour nous réjouir.
Le
premier ministre a lui-même convié mon collègue dans le but de faire une
déclaration officielle à propos de l’événement extraordinaire tant débattu. Il
l’a invité à publier sans délai ceci dans son journal : « eu égard
à l’événement en question, le gouvernement adopte une position réservée, mais
il décidera en temps voulu ». Cet
événement, bien que d’importance majeure voire capitale, n’a aucunement pris le
gouvernement au dépourvu, il est justement en train de peser les exigences
qu’il entraîne, et qui nous incite tout autant que l’autre circonstance
à prendre certaines mesures inévitables.
Cette
sensationnelle déclaration a rapidement été talonnée par d’autres communiqués
tout aussi officiels. Au cours des heures de la nuit l’agence mandatée a reçu
une dépêche selon quoi une personne proche du pouvoir avait déjà remis
l’information au gouvernement. À propos des susdits événements d’importance
capitale, cette déclaration autorise la presse à publier qu’ils rendent
nécessaires certaines délibérations et que des mesures ont déjà été
prises pour les mettre en œuvre. Cette déclaration a même été
confirmée en début de matinée. Nous disposons également de données dignes de
foi concernant les mesures prises. À quatorze heures quinze cet après-midi il a
été annoncé à notre collaborateur qu’on pouvait en escompter les
résultats à tout moment, à l’issue des délibérations sur l’événement en
question.
Fort
de cette information notre collaborateur s’est rendu auprès de l’émissaire
officiel du gouvernement désigné spécialement à cette fin et qui nous avait passé
l’information. L’émissaire, avec autorisation supérieure ou plutôt sur ordre
supérieur, a déclaré à notre collaborateur que, puisque ceci est déjà public,
il peut aussi ajouter que les fruits des réflexions relatives
à l’événement, attendus à tout instant, conduiront à des mesures qui exerceront
un effet décisif sur tout le processus à suivre.
C’est
riche de cette déclaration qu’il est finalement allé rencontrer N.N.X.Y.,
détenteur des informations les plus authentiques, par qui il a pu apprendre la
plus récente, notre journal l’avait d’ailleurs annoncée à vingt-trois heures
trente dans une édition spéciale, et selon laquelle (et nous pouvons désormais
la confirmer) le résultat des mesures en rapport avec les délibérations
relatives à l’événement est imminent et il aura un effet décisif sur tout le
processus à suivre conformément à l’attente gouvernementale.
Après
tout cela il ne reste plus qu’à répondre à quelques questions de détail
insignifiantes, par exemple : quel est l’événement en
question ? Selon certains informateurs compétents il serait
prématuré de le publier étant donné qu’on ne dispose pas encore de toutes les
informations.
Pesti
Napló, le 1er octobre 1918.