Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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la malÉdiction de la petite ouvriÈre

(Conte pour petits communistes. Par bon papa Lénine-Bénine)

 

Il était une fois, loin derrière la montagne, bien au-delà même de la ligne de démarcation, un malheureux pauvre riche capitaliste terre à terre. Ce pauvre capitaliste avait un fils qui s’appelait Ignace Plus-value.

Son père lui dit un jour : « Eh bien, mon cher fils, tu dois aller tenter ta chance car je n’ai plus de quoi te faire vivre, ainsi dit-il. »

Le pauvre Ignace noua son baluchon sur son dos, sa mère lui cuisit quelques coupons d’actions sous la cendre, elle ne trouva rien d’autre dans la maison.

Le pauvre Ignace marcha, marcha sur la grand’ route, alors tout à coup il parvint à la lisière d’une épaisse forêt.

Le pauvre Ignace avait très faim et il avait aussi perdu son chemin. Alors tout à coup une ogresse flanquée d’un énorme nez en fer se planta devant lui. Elle était aussi laide que le grand propriétaire incarné.

- Bonsoir, vieille mère, luit dit Ignace.

- Tu as de la chance de m’avoir appelée camarade, répondit le nez en fer. Pour te récompenser je te donne un billet de mille.

- Qu’est-ce que je vais en faire de ce billet de mille ? demanda Ignace en souriant. Des comme ça nous en avons chez nous dans la cour autant que de crottin.

- Apprends, malheureux pauvre riche capitaliste terre à terre, expliqua la camarade au nez de fer, c’est un billet de mille enchanté, si tu le retourne trois fois, tu peux lire les discours politiques de Oszkár Gyászi.

- Ça alors, rit Ignace, même mon grand-père n’a jamais vu un billet de mille d’une force pareille.

Il empocha néanmoins le billet et poursuivit sa route. Tout à coup il se trouva devant la grande baraque tournant sur un pied de canard. Ça alors, les yeux du petit capitaliste vibrèrent car il n’en avait jamais vu de semblables.

- Quel bon vent t’amène là où même les oiseaux ne passent jamais ? – lui demanda un camarade.

- J’aimerais seulement apprendre à qui appartient cette magnifique baraque ? – demanda humblement Ignace.

- Tu ne sais même pas ça ? – répondit le camarade. – Sache, tout pauvre capitaliste mortel que tu sois, que c’est le Métallo suprême lui-même qui habite ici. Fais gaffe qu’il ne t’aperçoive pas, sinon il te fera couper la tête sur le champ.

Ignace eut très peur.

- Pourquoi me ferait-il couper la tête ? demanda-t-il.

- Parce que dedans règne une très grande tristesse. La demoiselle Métallo des sept contrées, sa fille plus belle que le jour, fut maudite par une vilaine sorcière qui l’a transformée en un merle noir. Et seul un homme ayant été capable de lire d’un seul tenant la collection des discours de Oszkár Gyászi sur l’idéologie rationnelle de la velléité des nationalités pourrait la libérer de cette malédiction. D’aucuns l’ont tenté, mais aucun n’a réussi.

- Bien, je vais aussi tenter ma chance, dit le pauvre petit capitaliste.

La joie fut grande dans la maison. Ils comblèrent abondamment le candidat de boissons et de nourritures, et le bain lui fut préparé par des camarades. Et lui, il fit tourner trois fois le billet de mille enchanté, et voici que tout à coup il put lire les discours.

- Alors, pauvre capitaliste, dit le Métallo chenu, je n’ai qu’une vie et qu’une mort, je te donne ma fille et la moitié de ma paye journalière.

Et ainsi fut fait. Ils firent une grande noce et leur bonheur dure encore sous réserve qu’entre-temps la plus-value ne se soit pas accumulée dans l’individualisme collectif de la lutte des classes.

 

Pesti Napló, le 1er févier 1919.

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