Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
La plus…
Quelle était la plus… ?
Je me pose la question sous une forme
capricieuse, ludique, légère, le soir dans les rues, en rentrant du théâtre.
Quelle était la pièce la plus amusante que j’aie vue ? Je sais que c’est
un manque de respect à l’égard de l’histoire sérieuse de la littérature, qui ne
connaît que le bon et le mauvais et qui dose le jugement dernier dans ses
cornues. Je ne suis pas juste à l’égard de moi-même non plus : je sais
bien que cela dépend de mon humeur ce que je trouve bon ou mauvais à un instant
donné. La même blague, tantôt me fait rire à pleurer dans un état d’âme
convenable, tantôt ne parvient pas même à me faire sourire.
Ne prends donc pas "mon opinion"
plus au sérieux que moi. Je me laisse facilement convaincre de mon erreur – dis
mieux, rappelle-moi ce que j’aurais oublié.
Pour le moment, en ce moment, en rentrant
lentement chez moi après le théâtre, fouillant dans mes souvenirs à la
recherche de la pièce la plus drôle que j’aie vue, c’est Le roi de Flers et Caillavet qui me vient à l’esprit – mais je me
reprends aussitôt. L’école du piston
de Tristan Bernard m’a fait rire peut-être davantage.
Il ne manquerait pas d’intérêt de
constituer un relevé ou un tableau dans lequel on noterait ces degrés
superlatifs, sans aucun jugement de valeur. Évidemment cela nécessiterait
infiniment plus d’expertise et de connaissances factuelles que les miennes.
J’ignore par exemple quelle est la pièce la plus jouée au monde.
Vraisemblablement c’est Shakespeare qui mène la liste, peut-être avec Hamlet ou Othello. Je ne peux que me borner à mes impressions personnelles, à
des constatations qui relèvent d’arbitrages individuels.
Quelle est la pièce la plus longue ?
(La plus courte, en tenant compte du récent genre du cabaret, ne relève pas de
la notion de théâtre stricto sensu.) J’ai l’impression que c’est Guillaume Tell – en la jouant
normalement elle dure dans les sept heures ; on la monte quelquefois en
deux soirées.
Quelle est la pièce la plus triste ?
De mémoire, c’est Père de Strindberg,
ou Le voiturier Henschel
de Hauptmann et Le roi Lear.
Je me pose encore d’autres questions.
Quelle était la situation théâtrale la plus cocasse ? J’opte à première
vue pour le troisième acte de Garde du
corps de Ferenc Molnár où le mari, déguisé en garde du corps séduit sa
propre femme puis, au retour de son faux voyage, en cours de conversation il
revêt l’habit de garde du corps ; et l’épouse, se tournant vers lui,
comprend tout à coup la situation.
L’intrigue de quelle pièce recouvre la plus
longue période ? Nous pouvons nous mettre d’accord sans discussion, c’est La tragédie de l’homme de Imre Madách.
Et l’intrigue la plus courte ?
Vraisemblablement c’est une fois de plus Molnár qui prend la tête : il a
deux pièces, Le loup et Carnaval,
dans lesquelles la durée de l’action dure exactement aussi longtemps que le jeu
de la pièce, qui plus est elles commencent et se terminent au même moment que
la représentation. Elles ne pourraient pas être plus courtes, sauf si nous
supposons que les trois actes se jouent à trois endroits différents, au même
moment.
Quelle est la pièce qui fait défiler le
plus de personnages ? Je crois, sauf erreur de ma part, que c’est La sorcière de Sardou.
Et le moins ? Schönherr
a écrit au moins deux pièces où il confronte trois personnages, Diable femelle et Tragédie d’enfant. Je
n’ai pas connaissance d’une pièce en trois actes avec seulement deux
personnages.
Dans quelle pièce on meurt le plus ?
Shakespeare caracole en tête.
Dans quelle pièce il y a le plus de
femmes ? Et dans laquelle, le plus d’hommes ? Quelle est la pièce la
plus ennuyeuse ? Et la plus intéressante ?
Quelle est la pièce qui a rapporté le plus
à son auteur ? Et la plus déficitaire ?
Quelle pièce nous citons le plus ?
Quelle est la pièce qui a fait le plus grand four ?
Quelle est la pièce la plus mauvaise ?
C’est la seule question à laquelle on ne peut pas répondre : elle n’a
vraisemblablement pas été montée.
Soulever toutes ces questions est au moins
aussi intéressant que trouver les réponses. Elles intéresseront très
certainement le dramaturge de la rédaction si vous les lui posez ; quant à
moi je lui en fournirai d’autres avec une joie maligne, ce sera à lui de
trouver consciencieusement les bonnes réponses.
Színházi Élet, 1922, n°22.