Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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modestes suggestions À propos

du nouvel arrÊtÉ sur le tÉlÉphone

En modeste abonné du réseau téléphonique, au nom des autres abonnés enchantés et en mon propre nom je salue l’honorable direction des postes à l’occasion que, en harmonie avec les exigences du développement des techniques de communications, elle a adopté quelques innovations pratiques et d’utilité publique afin de satisfaire tous les besoins imaginables des abonnés, avec une prévenance qui a de tout temps caractérisé cette institution dans son souci de satisfaire et honorer toutes les exigences de leur confort.

Quelle merveilleuse idée est en effet que le téléphone, pour une somme modique, sera désormais aussi utilisable comme réveille-matin. Le soir on n’a qu’à remonter simplement la demoiselle du téléphone, on la règle à huit heures, et la demoiselle commencera à sonner à sept heures et demie pile !... Ceci présente un avantage par rapport au réveille-matin ordinaire : la bête paresseuse qui est couchée le matin dans mon lit et qui naturellement n’est pas identique au monsieur civilisé et consciencieux qui le soir déclare vouloir se lever à huit heures ; celui-ci ne peut pas le lancer par terre car c’était déjà fait depuis longtemps – par ailleurs elle n’est pas en fer comme l’autre, une demoiselle n’est quand même pas en fer car elle n’est pas une machine, et elle oubliera peut-être.

Les autres innovations sont encore plus merveilleuses et avantageuses. Il est possible de louer des liaisons permanentes pour certaines heures du jour ; par exemple pour être en relation automatique avec quelqu’un. Mettons que quand Gábor Bethlen s’en va, on connecte Beniczky automatiquement avec ce type – bref, on le connecte.

Aussi ces liaisons signalées comme urgentes, très urgentes, immédiates sont excellentes. Sauf que dans cette innovation ils n’ont pas suffisamment bien nuancé les tarifications quand ils ont fixé le tarif urgent à quatre fois le tarif normal, le tarif très urgent à huit fois et l’immédiat à seize fois. J’aimerais faire admettre à l’honorable direction que si elle recherche l’efficacité, elle devrait faire exactement l’inverse : croyez-moi, celui qui est assez riche pour payer seize fois le tarif, croyez-moi, pour celui-là ce n’est pas si urgent que ça !

On peut s’attendre prochainement à d’autres innovations.

À l’intention des maris jaloux une demoiselle espionne permanente pour signaler au mari à son bureau, moyennant une somme modique, que Rezső est arrivé. Même service pour l’épouse, pour un tarif double. La même chose pour un tarif triple, pour Rezső. La même chose, pour un tarif quadruple, pour signaler au mari que Dezső est parti et qu’il peut rentrer à la maison.

Un câble spécial pour brancher des informations téléphoniques.

Signal spécial pour des cataleptiques qui sont déjà dans leur catafalque – il suffit de presser sur un bouton et le standard envoie une ambulance.

Un petit tube dépassant du combiné dont coulerait du vin aszú de Tokaj, trois fois par semaine, sur abonnement mensuel.

Combiné transformable en projecteur, pour usage comme cinéma domestique.

Mécanisme de cuisson rapide avec batterie électrique, à brancher au réseau du téléphone : la demoiselle du téléphone fait chauffer le thé préparé à l’heure convenue avant de vous réveiller.

Un central spécial pour cruciverbistes, vous fournissant à tout moment des informations horizontalement et verticalement.

Pour se raser, un petit miroir dans le combiné, qui s’allume à l’heure désirée.

Machine à couper les cheveux en brosse, automatiquement, une fois par semaine, il suffit de s’asseoir sous le téléphone.

Automate pour passer du rouge à lèvres, au feu vert.

Sonnerie pour signaler les éclipses de Soleil, pour un supplément modique. Elle signale toujours à l’abonné le début de l’éclipse, à la minute près. Des plaques de verre noircies sont disponibles au central, en nombre illimité.

Machine à réfrigérer les harpons à baleines.

Des glaces au chocolat, des sorbets sucettes.

Après avoir solutionné ces innovations, le téléphone deviendra une institution tout à fait idéale. Encore que, j’aurais une modeste suggestion supplémentaire, vu que, apparemment, cette branche des communications a pris un essor fantastique. Ceci est peut-être moins qu’une suggestion, mais plus qu’une innovation. Que vous l’acceptiez ou non, je tiens à revendiquer par la présente mon antériorité pour un brevet.

Mon invention dont je recommande l’usage à l’honorable direction des téléphones est un peu difficile à circonscrire, à défaut des notions et des instruments adéquats.

Elle consiste brièvement à équiper le téléphone d’un instrument dans lequel, si l’on crie le numéro d’un abonné avec lequel on souhaiterait parler, une demoiselle se présenterait pour établir la communication.

 

Pesti Napló, 16 juin 1925.

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