Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
cartons
es efforts de l’industrie cinématographique et des
retransmissions modernes de films d’attacher plus d’attention au style soigné
des textes explicatifs que l’on appelle cartons, sont dignes
d’intérêt, non seulement dans la pratique, mais aussi en théorie, du point de
vue de la politique cinématographique. Il devient courant ces dernières années
que le producteur du film ou son "adaptateur à l’écran hongrois"
confie l’écriture des textes à des stylistes expérimentés, voire parfois des
écrivains de renom, et qu’en divulguant le nom de l’auteur des textes, il
garantisse l’exactitude du mot écrit. Dans le cas de comédies ou de
bouffonneries, les experts attachent une importance particulière à
"l’humour" du texte qui peut grandement accroître l’effet comique.
Mais même pour la rédaction des parties textuelles de lourds drames sociaux, on
commence à s’apercevoir à quel point il est important que le comique
involontaire du "carton" qui peut rappeler le langage formaliste des
élucubrations de la littérature sentimentale d’éditeurs clandestins, de crieurs
de foire, de quelque niais journal de province, ne nuise pas au film, n’abaisse
pas le niveau de la mise en scène. La raison du soin nouveau aux parties
textuelles est simple : le film contemporain, d’une mise en scène
moderne, commence à atteindre le niveau de goût des genres littéraires, romans,
nouvelles ou drames, se targuant d’un passé aristocratique. Il est donc
compréhensible que le goût s’ennoblissant, la cinématographie désire emprunter
au roman, à la nouvelle et au drame ce qu’on peut leur emprunter : une
culture plus choisie de l’expression.
Car il faut dire que le cinéma en tant que
genre (il est permis d’en parler ainsi : la nouvelle encyclopédie des arts
est désormais contrainte d’insérer un nouveau genre entre le roman et le drame,
celui du roman cinématographique en tant qu’esthétique en soi, ayant sa propre
loi) a apparemment aussi besoin de la force expressive du mot abstrait, écrit,
en tant que caractéristique organique, permanente et pérenne : cela ne
fait plus de doute. Les esthètes du cinéma d’un goût plus délié élaboraient il
y a peu d’années encore des théories selon lesquelles, justement pour la pureté
du genre, un film artistique devait tout exprimer en images, de façon à
rendre la parole superflue – par conséquent ils ont fabriqué (Reinhardt[1] si je me rappelle bien) des films sans
texte. Mais ces expériences ont été balayées par l’évolution du cinéma ;
il est évident que la possibilité que l’image exprime tout, même les
fleurs de rhétorique ou les métaphores dans un concret perceptible, enrichit
seulement et rend plus tangible et plus réaliste, mais ne rend pas inutile
l’art de la communication par la parole, par des pensées abstraites.
L’image, même si elle est colorée et variée, même si elle éclaire de tous
côtés, d’une pleine lumière, l’objet qu’elle reflète, reste tout de même
seulement une image pour l’homme qui veut communiquer quelque chose ;
l’image n’est et ne sera qu’une formule, qu’une parabole, qu’une métaphore,
dans tous les arts et cela ne peut pas être différent dans l’art
cinématographique – elle n’est que serviteur et transmetteur du verbe
inexprimable autrement ; l’art le plus proche d’elle est le roi de tous
les arts, la poésie qui s’accomplit en paroles. Par conséquent quelque chemin
que prennent le roman cinématographique, la nouvelle ou le drame
cinématographique, la poésie cinématographique (les visionnaires admiratifs rêvent pour l’avenir de Shakespeare
cinématographique, de Tolstoï et de Petőfi cinématographiques) il est en
tout cas certain qu’ils restent en parenté organique indissoluble avec le
contenu qui ne peut être transmis que par le mot vivant ou écrit. De cette
façon, l’essentiel que même l’art de la création de la cinématographie ne peut
exprimer qu’en paroles, le texte, les cartons, doivent progresser en
goût, en art, en distinction, en différenciation, parallèlement au goût, l’art,
la distinction et la différenciation du genre qui évoluent. Un bon réalisateur,
quand il met en images l’œuvre d’un poète du cinéma, doit s’allier également
avec un bon écrivain, il doit unir en lui les trois artistes s’il veut créer
quelque chose de parfait. .
Színházi Élet, 1924, n°21.
[1] Max Reinhardt (1873-1943). Metteur en scène de cinéma et directeur de théâtre d’origine autrichienne.