Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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c’est notÉ sur le bout de papier

Alors, écoute, si tu n’arrives pas à tenir une semaine de vacances avec ta famille, et que tu commences à trop languir pour cette maudite ville de Subotica que tu n’as pas vue depuis huit jours (ton problème est que tu n’as rien de pressant à faire, sinon bien sûr…) – alors écoute, prends le rapide de neuf heures et demie – à une heure et demie tu seras arrivé – mais fais attention ! Sois bien de nouveau à la gare à trois heures et quart, sinon il t’arrivera la même chose que l’autre jour quand tu l’as raté. C’est déjà assez terrible que nous ne te voyions pas aujourd’hui jusqu’à dix heures du soir – que diront les enfants, ils s’en apercevront forcément…

Bon, Dieu te garde, méchant homme qui ne peut pas rester avec sa femme – quelle affaire urgente tu peux bien avoir ? Tu es un sacré coco quand même, c’est moi qui te le dis – bon, bon, je n’ai rien dit, je ne veux pas te mettre en retard… Ah oui, ne fais pas tomber de ta poche ce petit bout de papier sur lequel j’ai écrit ce dont tu devras t’occuper puisque tu y vas… Mais il vaut mieux pour être plus sûr que je te le dise de vive voix aussi, donc écoute : dès que tu arrives, tu montes chez ma modiste, pour lui dire qu’elle m’envoie enfin ce chapeau blanc, les deux chapeaux, tu cours chez nous, tu demandes la clé à la concierge, tu montes, tu démontes les lustres et revisses les deux fenêtres, tu démontes le poêle à gaz – voici la clé du garde-manger, tu descends dix kilos de fruits au sirop, tu ouvres les bocaux moisis et tu fais rebouillir les autres sur le réchaud électrique – n’oublie surtout pas de monter une seconde chez madame Terka, tu sais où elle habite, toi si distrait, c’est à Radonovác, tout près de l’arrêt du tram – règle l’assurance, pour l’amour du ciel, tu serais capable de l’oublier si je ne le répétais pas – et le tissu ! Avec le bon tu cours à la direction, tu en emportes un à Palics chez Madame Krecsmár, quant à l’autre, c’est Madame Málcsi qui s’en occupera pour que tu n’aies pas trop à faire, toi, il suffit que tu le lui donnes (tu lui demandes d’abord au téléphone où elle passe ses vacances) – et puis tu m’apportes en outre de la poudre de riz, du savon, du bain de bouche, du rouge à lèvres, du rimmel, trois salamis, deux cadres pour tableaux de deux mètres et demi, trois paires de patins à glace – ah oui, n’oublie pas de regarder cet aspirateur radio dont Manci nous a parlé, s’il est possible de l’acheter à crédit – bon, alors adieu méchant homme – dis donc, pourquoi c’est si important pour toi ce voyage ?... Tu m’es bien suspect, tu sais ! – d’ailleurs ! De quoi tu pourras bien t’occuper là-bas ?

 

Bács-megyei Napló, 28 juillet 1926.

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