Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
LE CAS DU FILS HARSÁNYI AVEC KÁLMÁN MIKSZÁTH
ou
Qu’est devenue la pauvre Marie Tóth ?[1]
(Cauchemar en plusieurs
tableaux)
PREMIER TABLEAU
La scène se passe à
l’intérieur d’un roman intéressant, bien ficelé, de Kálmán Mikszáth. Dans le roman un certain fils Noszty
tombe amoureux de l’inconnue Marie Tóth. Plus
tard, pour des raisons matérielles, selon les mœurs qui règnent au début du
siècle et conformément à l’esprit dévoyé de la classe moyenne vivant en pleine
décadence, il décide de faire un mariage d’intérêt et d’épouser une riche
héritière. On lui recommande Marie Tóth qui est
immensément riche. Mais cette Marie Tóth rêve
d’un amour idéal, désintéressé, et quand elle apprend que le fils Noszty n’est qu’un vulgaire coureur de dots, le cœur brisé
mais avec fermeté elle le repousse. Le fils Noszty
qui pourtant au début aimait Marie Tóth
sincèrement, sans arrière-pensée, puisqu’il ignorait qui elle était, sera ainsi
amèrement puni de ce péché qui en réalité était celui de toute une classe
sociale – son châtiment est tragique et juste, et aux yeux du lecteur
parfaitement moral.
DEUXIÈME TABLEAU
Lieu : intérieur
d’un drame scénique bien monté, que Zsolt Harsányi[2] a adapté d’un roman de Kálmán Mikszáth pour le Théâtre de la Gaîté, avec un immense
succès. C’est l’histoire d’un jeune homme nommé le fils Noszty
qui tombe amoureux de Marie Tóth, mais on le
renvoie de chez les militaires, parce qu’ils ont fait la fête la veille avec
une fanfare et on lui a présenté sa traite non payée avant qu’il ne la règle,
là-dessus il se fourre un chapeau civil sur la tête et donne une sérénade à la
jolie petite Marie Tóth à laquelle au préalable
il avait écrit une lettre. Marie Tóth rêve d’un
amour pur, donc elle et sa servante échangent leurs robes, pendant qu’à la
maman Tóth il faut toujours cinq minutes pour
retrouver le nom des gens et on veut marier la Marie avec le fils Noszty, mais la jeune fille apprend par sa servante qu’on
avait révélé au fils Noszty que Marie n’était pas la
servante, à la suite de quoi elle apparaît dans une robe rococo au bal masqué
pour dire au jeune homme la vérité dans les yeux deux minutes après que le fils
Noszty hérite une fortune de l’oncle de son
beau-frère, donc il appelle le violon Tsigane pour se faire jouer la chanson
avec laquelle il avait envoyé sa lettre dans le premier acte pour prouver qu’il
n’est pas égoïste, là-dessus tout s’éclaire et devient évident et Marie Tóth tombe dans les bras du fils Noszty,
et Bubenyik gagnera la main de la servante.
TROISIÈME TABLEAU
Lieu : un film
intéressant, dans la réalisation de Lubitsch, qu’Alexandre Korda a tiré de
la version scénique dramatisée par Zsolt Harsányi pour la transposer au cinéma à Hollywood. Son
titre : La lettre perdue.
L’auteur des sous-titres est István Mihály. Le premier acte se passe en
Amérique où le père de Marie Tóth fabrique des
croissants salés de dix mètres pour une exposition à San Francisco,
pendant que le fils Noszty, appauvri en Europe,
dans la révolution russe (prises de vues de guerre excitantes sur la bataille
de la Marne, combats aériens, etc.) gagne, en tant que cow-boy, la course de
chevaux et fait la connaissance de Mary qui à Paris avait vu Mossioukine sur une photo, déguisé en cow-boy et maintenant
elle le confond avec Liliom. Durant les autres actes
dans des poursuites effrénées ils cherchent la lettre que Fred Nosty, le « taureau des prairies », avait écrite
autrefois à Mary du fond de son scaphandre immergé dans le Mississipi – et par
chance, à la dernière seconde, on réussit à sauver des flammes la cassette dans
laquelle reposait la lettre, par
conséquent le roi de plomb des Mormons avait eu beau incendier Washington,
l’analyse chimique réalisée à l’usine de radios prouve que l’écriture était
celle de Noszty et les deux amoureux sautent
joyeusement à bord d’une montgolfière pour leur voyage en Inde.
QUATRIÈME TABLEAU
Lieu : L’opérette
qu’un écrivain sud-américain, Jenő Faragó[3], a créée à partir d’une variante
transposée du scénario du film intitulé La
lettre perdue. Son titre est Mississipi. Nisty-Bosty,
le cow-boy téméraire, sur la requête du grand-duc russe endetté accepte de
demander à sa place la main de Totty-Botty, la belle
danseuse mulâtre. Le garçon plaît à Totty-Botty, mais elle est soupçonneuse, et ses soupçons ne
passent que quand Nisty-Bosty danse la création Mississipi. Le grand-duc devient dès
lors jaloux, mais il s’avère qu’en réalité Nisty-Bosty
est le fils échangé du vrai grand-duc.
CINQUIÈME TABLEAU
Lieu : un grand
ballet extrait de l’opéra intitulé Mississipi,
réunissant ses numéros de danse ; succès mondial.
SIXIÈME TABLEAU
Lieu : Salle de
bal. Emeric X. Saphir présente la dernière création, sippi, aux journalistes et aux
experts. Dans une courte introduction il souligne que le sippi était né en Amérique du
Sud, et en réalité c’est une abréviation de Mississipi.
Les experts prévoient un immense avenir à cette nouvelle danse : elle est
censée surpasser le charleston.
Színházi Élet, 1926, n°49