Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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LE MAHARAJAH A BUDAPEST

Fouilleton de Frigyes H.G. Karinthy

 

…Le maharajah a pressé le bouton numéro B 13013 et à bord de son train spécial il a fait son entrée fracassante dans la capitale hongroise.

C’était un bel homme, le maharajah, force m’est de le constater, bien que je ne touche qu’un cachet ridicule pour le présent croquis.

Il est venu à Budapest pour lire dans l’âme des célèbres femmes budapestoises.

Et sont venues les célèbres Budapestoises et elles lui ont ouvert grand leur âme. 4552 démons ont défilé devant le maharajah, - oh, pardon ! 4551.

Mais le prince (je remarque qu’il portait une cravate bordeaux) n’a pas choisi parmi elles. Il a par contre remarqué une jeune fille blond paille sur la rive du Danube, qui s’apprêtait à commettre un suicide. Les cheveux de la jeune fille étaient blond paille malgré le fait que ses yeux étaient bleus et qu’elle avait deux pieds de pointure trente-sept, mais en bas.

- Cette fille est différente des autres, se dit le maharajah sous son chapeau melon, et il a commencé à s’occuper de la fille.

Il l’a emmenée dans une modeste taverne de Buda et lui a fait donner un modeste dîner de Buda. À la place d’espèces, il a payé avec un chèque en bois de la Bank of England. Pendant ce temps s’est forgée de plus en plus en lui l’opinion que cette fille est si innocente qu’elle ne sait même pas par quel bout il faut manger la saucisse.

Alors (il était sept heures trente-deux du soir, à la latitude de quarante-deux degrés Nord) le maharajah a voulu penser quelque chose, mais à moins que trois mètres de lui la jeune fille lui a dit :

- Dis, ô Radjah, le vingt novembre mille huit cent soixante et onze, ton papa n’était-il pas par hasard vitrier à Miskolc ?

Le blanc des yeux du maharajah a pâli.

- Dans ces conditions, a poursuivi la jeune fille cyniquement conséquente, nous sommes cousins. Salut, Adolf !

Et elle a trinqué avec le serveur.

Ce fut le moment où à Brall-Klivingstone H.G. Wells renoua sa cravate.

C’est tout.

 

Az Ojság, 15 mai 1927.

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