Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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CONCOURS DE POÉSIE

 

Le dernier concours a été organisé chez nous en 1846 par la rédaction de Honderű (Optimisme National) ; y ont concouru Sándor Petőfi, Mihály Tompa et mon lointain presque homonyme Frigyes Kerényi. Le sujet en était la cabane forestière, c’est ce qu’il fallait chanter. Si je me rappelle bien c’est Mihály Tompa qui en est sorti vainqueur. Petőfi avait participé avec son poème Comme le cœur le secret du premier amour.

L’actuel concours de poésie, quatre-vingts ans plus tard, dont le résultat sera publié prochainement dans les colonnes de Színházi Élet, conformément aux conditions sportives et artistiques plus évoluées et plus diversifiées de notre époque moderne, a été organisé avec plus de prévoyance et de circonspection par le comité du concours, connaissant bien la substance de la poésie et l’être du poète. Il a tenu compte de quelques dernières découvertes de la psychologie moderne – la vanité, la sensibilité, la pudeur et le goût individuels du poète d’aujourd’hui sont bien plus complexes et multiples que l’étaient ceux des anciens. Il aurait été difficile de convaincre un poète chauffé d’amour-propre d’accepter de traiter le sujet commun désigné à l’avance – à l’époque des festivités populaires et des bruyantes manifestations sportives c’est précisément le poète authentique qui aurait considéré que ce genre de cuisine de concours de maître chanteur digne de Wartburg n’est qu’une attraction de foire.

Cette réflexion faite, Színházi Élet a eu recours à une ruse. Il a organisé le concours – mais de façon telle que les concurrents participant ignoraient qu’ils participaient à un concours.

Alors, le collaborateur de Színházi Élet s’est rendu chez chacun des douze poètes dont les poèmes se suivent ci-dessous avec le mandat de leur demander s’ils n’avaient pas par hasard un poème pour le prochain numéro. Il serait très bien, ajoutait-il si dans ce poème il s’agissait par hasard de l’Île Marguerite ou s’il y avait un rapport avec cette île – puisque le lieu de villégiature préféré de Messieurs les poètes est justement l’Île Marguerite.

Presque partout ce collègue a réussi à embarquer le candide poète dans l’inspiration au sens le plus noble du terme. Les poètes vivent majoritairement à Pest ou au moins y ont vécu pendant de longues années, et l’Île Marguerite est pour eux une source d’inspiration à laquelle ni János Arany ni Endre Ady n’ont su résister. C’est l’inverse qui s’est produit de ce qui se produit en général en pareille circonstance. Le plus souvent le poète distrait et nerveux, pour se débarrasser du collaborateur du journal, répond généralement : écoutez, je n’ai pas le poème que vous souhaitez tout fait, mais j’en écrirai un – et bien sûr il n’en écrira pas, puisqu’il est rare qu’un poète prenne le sujet d’une de ses poésies autre part que de l’intérieur. Cette fois cela s’est passé différemment. La part léonine des poètes sollicités (j’ai failli parler de griffes du lion), s’est tue en entendant l’expression Île Marguerite, ils ont médité, puis ont vite répondu : hum ! Oui, j’ai bien un poème sur l’Île Marguerite. Pourtant il n’en avait probablement pas (le comité connaissant bien le patrimoine de la poésie hongroise savait parfaitement cela) – et pourtant le poète ne mentait pas : dès l’instant où il a capté le sujet, il s’est rappelé avoir toujours voulu écrire un poème sur l’Île Marguerite, et à l’instant même il a décidé de saisir l’occasion et de l’écrire.

Car il est impossible de voir Naples et de ne pas mourir, il est impossible de ne pas écrire une satire contre la tyrannie et il est impossible de ne pas chanter l’Île Marguerite.

C’est ainsi que les poèmes ci-dessous sont arrivés à la rédaction en temps voulu pour le concours. Les poètes de certains poèmes affirment qu’il s’agit d’œuvres anciennes, mais nous savons qu’ils sont neufs et originaux. Le public sentira d’ailleurs très bien le parfum de l’inspiration fraîche sur chaque poème. La condition pour réussir la compétition était effectivement l’ignorance du concours par les compétiteurs.

Et, l’épigramme orné ad hoc, qui trouve place au milieu de la ligne, du modeste auteur des présentes lignes doit servir de contre-épreuve dissuasive – il fut le seul qui était conscient de participer à un concours.

Comme on dit à Pest : son poème ne le cache pas.

 

[…][1]

 

L’Île Marguerite (Frigyes Karinthy)

 

Dirais-je moi aussi un mot sur l’Île ?

Elle est tolérablement divine,

Si j’étais peintre, je serais contraint

De la peindre assez belle à la folie.

 

En des circonstances normales

Le poète ne fait que rêver de telles beautés,

Pour ne pas la prendre enchanteresse

Je ne trouve aucune raison.

 

À mon susdit modeste avis

Pour le soutenir je me permets

De joindre le poème sur les Chaînes

Du professeur de collège J. Arany.

 

En outre je vous prie d’y joindre

Le procès-verbal correspondant de Ady,

À lui l’Île a fait l’aveu

De tous les secrets et les larmes de son passé.

 

Elle m’a aussi fait un aveu un jour,

Quand les soirées avaient vingt ans…

Mais son aveu (pour citer Monsieur Arany) :

« N’avais pas l’odeur de l’encre ».

 

[…][2]

 

 

Színházi Élet, 1927, n°28

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[1] Quatre poèmes non traduits

[2] Huit poèmes on traduits