Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
Hip, hip, hip, Hourra !
ON A GAGNÉ TOUS LES CHAMPIONNATS
LA HONGRIE EST IMBATTABLE !
Reportage de Színházi Élet fait dans l’usine construite
spécialement à cette fin, sur les jeux olympiques d’Amsterdam !
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Veuillez ne réclamer partout que ce reportage !
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Tout autre reportage est faux et en tant que tel veuillez le refuser
avec la plus
grande fermeté !
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Emballage original de Színházi Élet
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Garanti ! |
Parmi tous les reportages sur les jeux olympiques d’Amsterdam seul
celui de Színházi Élet est satisfaisant à tous égards. |
Garanti ! |
Amsterdam, 1928
selon notre goût
En tant que
correspondant de Színházi Élet à
Amsterdam, je ne peux malheureusement rendre compte du
résultat final que très brièvement. Je n’ai tout simplement pas le temps.
Depuis qu’on a appris ici que je suis un correspondant hongrois, je n’ai plus
le moyen de préserver mon incognito, les braves Hollandais m’assaillent au
point que j’ai du mal à respirer. Toute la journée ils me célèbrent, ils me
trimballent d’un banquet à l’autre, ils me montrent du doigt, ils conduisent
vers moi des défilés et des délégations. Des orphéons d’honneur me donnent
chaque nuit la sérénade, le jour ils me portent sur leurs épaules. J’ai même du
mal à tenir ma plume, parce qu’hier soir ils m’ont doré la main dans une
cérémonie solennelle. J’écris le présent reportage assis sur les épaules de
trois ministres et d’un grand-duc, qui me portent partout dans les rues
d’Amsterdam en procession solennelle.
Donc, très brièvement.
Dix mille mètres plat
Nurmi et Ritola
mènent effectivement un temps, environ les huit premiers kilomètres, comme les
comptes rendus erronés, délivrés trop tôt, l’ont rapporté.
Au-delà de huit mille mètres, le Hongrois Miklós Zrinyi s’échappe,
en serrant dans
sa main trente médailles d’or. L’échappée de Zrinyi déconfit complètement les
cousins finlandais surpris. L’athlète hongrois gagne haut la main la
compétition et le championnat.
Marathon
Un certain Arabe nommé Qaffi tient
passablement bien le rythme jusqu’à trente kilomètres. Il est talonné par le
peloton plus lent. Mais au-dessus de trente hexamètres tous observent
La course de Zalán.
Il court à donner le vertige. Il est encouragé par son
entraîneur Mihály Vörösmarty,
tout sourire, Après six cents hexamètres il déchire, sûr de lui, la ligne
d’arrivée. Champion olympique : Zalán, (Pusztaszer[1].)
Saut en hauteur
La performance remarquable au niveau
internationale des sauteurs américains et japonais devient d’un coup un
sautillement grisâtre dès qu’apparaît le champion hongrois en haut des
remparts.
Premier : Titusz Dugonics[2] (et un certain Turc mais qui est
disqualifié).
Lancer du poids
Le public suit avec un intérêt limité les
tentatives de lancers des diverses nations. Il n’en veut manifestement pas,
même si on le leur lance gratuitement. Mais on ne lui lance rien. Tout d’un
coup surgit un Hongrois moustachu. Il soulève le poids, il le contemple – puis
le lance si loin qu’on n’arrive pas à le suivre du regard. Tous hurlent avec
enthousiasme : « Vive János Háry ! »
Haltérophilie
L’Américain Watson soulève cent soixante
kilos. Enduite un Belge lève environ deux cent. Eh bien il est suivi d’un Turc
qui soulève trois cent. Puis un autre Turc avec quatre cent. Ensuite un
troisième Turc avec cinq cent. Un Hongrois les regarde faire. Puis il
s’approche d’eux et il soulève d’un coup les trois Turcs ensemble tels qu’ils
sont, poids compris, deux avec les mains et le troisième avec les dents.
Champion olympique : Pál Kinizsi (Kenyérmező[3]).
Lutte, poids lourds
Le champion suédois est en train de
combattre contre le Dr. Situation.
Il gagne. Il lui reste encore un dernier combat à mener. Le champion du monde
sortant porte un regard autour de lui et constate que le germe de la jachère déserte salée brûle du feu du soleil d’été[4]. Ciel, au secours, s’écrie-t-il, ce qui
signifie que Miklós Toldi risque de ne pas
tarder ! Là-dessus il s’enfuit et abandonne.
Toldi devient champion du monde par forfait.
Natation
Comme il était prévisible, les nageurs
américains, suédois, français et anglais n’arrivaient à tenir le rythme qu’un
temps. Les uns après les autres ils ont été contraints d’abandonner et de
grimper hors de l’eau. Le relais hongrois unifié se trouve, lui, toujours dans
l’eau, il n’y reste plus qu’eux, il est donc manifeste, bien qu’aucun résultat
n’ait encore été proclamé, que les Hongrois seront champions du monde.
Pentathlon
Nous menons.
En pantalonnade nous restons
imbattables !
Sommeil en longueur et rêve en longueur
Tout le monde s’est déjà réveillé, seuls
les Hongrois tiennent encore le coup comme vous l’avez bien compris dans la
présente correspondance.
Et enfin :
Saut en longueur
Champion : journaliste refusant de
dévoiler son identité qui, en l’espace de cinq minutes, juste avant la mise
sous presse, a fait un saut de Budapest à Amsterdam et retour, sans toucher
terre, pour porter à temps ces résultats sensationnels.
*
Parvenu après la mise sous presse :
Le vainqueur de la compétition de bile est Frigyes Karinthy, le bilieux humoriste
hongrois.
Színházi Élet, 1928, n°34
[1] Village au sud de la Hongrie, où Árpád a réuni la première assemblée constituante au 9e siècle.
[2] Héros légendaire de la défense hongrois du château de Nándorfehérvár (aujourd’hui Belgrade) qui, en 1456, a sauté du haut du bastion avec le porte-drapeau Turc.
[3] Bataille entre l’armée de Matyas 1er, roi de Hongrie et les Ottomans en 1479/
[4] Citation extraite du poème épique Toldi, de János Arany.