Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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Comment sera la mode ?[1]

- au dehors… et au dedans -

Des couleurs d’automne – gris et brun foncé.

Le matin ; veston à double boutonnage, col double, bouquet de couleurs, chaussures marron à lacets.

Pour le smoking : gilet blanc, bouquet noir, boutons dorés, chaussures vernies, pochette en soie blanche. Pour le frac, gilet blanc, bouquet blanc, boutons diamant, escarpins.

L’après-midi : pantalon marron clair pour une veste marron foncé, gris rayé pour une veste noire, cravate grise à motif.

Au champ de courses : pardessus beige clair, complet gris, chapeau melon gris.

Pour les randonnées : veste de sport, culotte de cheval, poche extérieure, casquette.

Au bal ou pour les soirées : le chapeau claque, un haut-de-forme pliable, est de nouveau à la mode, gants blancs de chevreau glacé.

Linge : popeline légère à motifs tissés, d’une pièce.

Cheveux : aplatis, raie latérale.

Moustache taillée à l’anglaise.

Maintien : léger, direct, néanmoins souple, sportif, démarche droite, les orteils légèrement tournés vers l’extérieur à la Novarra.

Sourire : face à des supérieurs ou à des égaux, de dix à quinze millimètres, bilatéral, légère élévation du bord des lèvres. Face à des subalternes : cinq millimètres, vers la droite, légère moue vers le bas, bienveillance mais réserve.

Lever du chapeau : pour les antisémites et les adeptes du numerus clausus, quinze millimètres de moins, autrement identique à l’année dernière.

Regard : modelé passablement affûté, droit, un peu replié sur les deux bords, chaud, avec prévenance grise ou bleue. Dans les faubourgs il survole les têtes, dans les bâtiments publics, les ministères : incisif, prometteur, enchanté. En amour : légèrement voilé – sourcils soulevés, abaissés sur les côtés. Dans les mêmes circonstances : soupir, pas trop profond, de gorge.

Tenue des mains : un peu en dedans, vers soi, à la manière des saints.

Voix : vive, staccato, avec des nuances plus sombres. L’après-midi une coloration éraillée, parfois des interruptions distraites (« euh », « que voulais-je dire », etc.), comme pour signaler que j’aurais aussi d’autres affaires plus importantes à penser, et si j’use ma bouche, c’est par pure politesse, ne t’imagine pas des choses.

Le remplissage « n’est-ce pas » au moins trois fois dans une phrase.

Lors d’explosions passionnelles, de vives querelles : sous-entendus légèrement rugueux, narines soulevées, une paupière fermée.

Intérêt : sportif, non exagéré, discret. Peu de littérature, légèrement de travers. Avec les dames : peu sur le mari, poliment, ourlé d’une fine compassion, à peu près sur le même ton que l’on s’intéresse aux problèmes de la domesticité, en passant vite à un autre sujet.

En outre, les opinions suivantes seront à la mode cet automne :

En politique : bande semi-libérale semi-grise, en bas discrètement démocratique, avec deux boutons soucis, chagrin et douleur patriotiques à cause du pacte Kellog, entre lesquels l’un est le cadet de l’autre. Au flanc droit de l’opinion, des critères raciaux, au flanc gauche les yeux ouverts vers l’Allemagne, ce dernier légèrement cintré.

En littérature : romantisme doux, mou, en tissu léger, incliné vers le surréalisme. Il est de nouveau permis de porter aux nues Jókai et Mikszáth[2], Tolstoï est également couru cette année, en haut – avec une pincée d’Anatole France, accompagné de Thomas Mann fortement coupé, légèrement noué en bas. Dekobra, mais on peut aussi s’en passer. Wells ne peut être louangé qu’accompagné de Galsworthy, tandis que Shaw est moins porté cette année, il reviendra peut-être au printemps.

Il sera le moins possible réfléchi au but de la vie. Sinon en aphorismes. Aux femmes étroitement, jusqu’aux chevilles, plis bien repassés, phrases extrêmement courtes, à la László Lakatos.

Envers soi-même, des avis réservés, prudents, seront à la mode. Pas de projet ou de résolution particuliers, pas d’idées pour faire le bonheur du monde ou des choses de ce genre – sur n’importe quel sujet si nous avons une foi, une croyance, une conviction, notre pensée ne survole surtout pas la totalité du sujet jusqu’au point de départ, mais elle s’arrête dans une petite fioriture à la réponse neutre la plus proche, qui peut se faire en n’importe quel tissu, pourvu qu’elle dure. Des intentions correspondantes, à usage strictement intime, en tissu propre.

Pour des aspirations pécuniaires, lucratives, bure blanche avec des rayures noires.

En cas d’échec, vêtement noir, col plat, avec un petit trou pourpre sur le côté, à la tempe.

En cas de succès, regard innocent comme si toute l’affaire ne nous regardait pas.

Ce que les femmes porteront cet automne, nous le verrons au prochain numéro.

D’ores et déjà je peux vous dévoiler que ce ne sera pas un enfant.

 

Színházi Élet, n°38, 1928.

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[1] Un texte très proche a paru dans le recueil Trucages.

[2] Mór Jókai (1825-1904) ; Kálmán Mikszáth (1847-1910) ; László Lakatos (1882-1944). Romanciers hongrois