Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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L’HUMORISTE

L’homme est un être pair.

L’homme a donc une femme.

La femme de l’homme veut, disons, un chapeau.

Le chapeau coûte un certain montant, disons, en chiffres ronds, cinquante pengoes.

L’homme acquérir ce montant.

Comment l’homme acquiert-il ce montant ?

Cela dépend de la profession, de la vocation de l’homme susdit. Et cette dernière, elle, dépend du talent et des capacités de notre homme.

Si l’homme est un chef de guerre, il va à la bataille et dans un combat héroïque il arrache à titre de butin le chapeau de la tête de la femme d’un soldat ennemi d’un des pays ennemis.

Si c’est un inventeur, il invente un produit dont d’autres ont besoin, mas pas lui, il le vend et du prix de vente il achète le chapeau pour sa femme.

S’il est un homme politique, il s’efforce de monter au pouvoir et une fois au pouvoir de créer dans le pays des conditions telles qu’il en résultera une nouvelle mode, comme que les femmes ne portent plus de chapeaux, aucune femme, et que par conséquent il ne soit plus obligé d’acheter un chapeau pour sa femme.

Si c’est un artiste peintre, il peint une femme qui a déjà un chapeau, et cette femme peinte présente si bien avec son chapeau qu’elle paye volontiers son portrait assez cher pour que le peintre puisse acheter pour sa femme le chapeau tant désiré.

S’il est poète, il écrit un poème dans lequel il développe qu’une femme est l’objet le plus beau même sans chapeau ; même pour ce poème il pourra gagner suffisamment d’argent pour acheter un chapeau.

S’il est écrivain, il écrit un roman au sujet d’une femme qui a acheté un chapeau, il le vend et il achète un chapeau.

Mais finalement c’est l’humoriste dont la tâche est la plus simple.

Il écrit tout simplement que sa femme veut un chapeau.

Étant donné que la communication directe, sans aucune tergiversation, de ce fait surprendra les gens qui la trouveront originale et drôle, en constatant que sa femme veut un chapeau l’humoriste aura gagné le chapeau !

Il a donc raison. C’est tout ce qu’il a.

 

Az Ojság, 23 juin 1929.

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