Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
Je lance un nouveau procÉdÉ de science divinatoire
Mon aimable et respectable époque raffole des
prophéties, des divinations, des horoscopes, qui ont tant fleuri ces deux
dernières décennies, sur une base scientifique, fumée de savantes théories s’il
le fallait – et quand il ne le fallait pas, juste comme ça, simplement, à la
tsigane, selon les vieilles recettes.
L’analyse freudienne des rêves a
cartographié le monde intérieur de notre âme. C’est cette carte qu’a utilisée
le batteur de cartes des temps modernes pour embellir notre pauvre cœur, notre
espérance spongieuse, qui aimerait tant apercevoir l’avenir radieux.
Et les anciens guérisseurs refirent
apparition, changés dans des accoutrements modernes pour revenir. Ils n’osèrent
plus tellement toucher aux étoiles, le paquet préféré de l’Égypte et des
alchimistes, celles-là, la physique et les mathématiques ont déjà mis la main
dessus, mais il en fallait plus pour les troubler. Il leur restait la forme de
la tête, les mains et les pieds, les traits du visage – largement assez pour
celui qui veut s’y consacrer, et alors si l’on pense à tous ces automatismes
qui se forment par conditionnement,
ils permettent de dessiner une image déterminante de la nature et du caractère
de l’individu, tout en menant à des conclusions sur son avenir.
Après la physiognomonie, la chirologie, la
phrénologie, vint la graphologie. Il est possible, sur une base scientifique,
de déterminer de l’écriture de la personne de qui il est le fils ou le père,
quel est son métier, où il l’exercera.
Et tout le reste.
La demande de ces "sciences" est
devenue particulièrement grande dans les cercles féminins.
La forme du pied n’est déjà pas rien – il y
a désormais des spécialistes de la cheville qui prédisent excellemment l’avenir
des mollets. L’histoire de l’évolution ou plutôt de la rétro-évolution
vestimentaire féminine donne largement l’occasion de nouvelles combinaisons, en
voie de la… combinaison – à Paris, à ce qu’on dit, ont apparu des devins du
genou, il leur suffit de jeter un coup d’œil sur le genou de la dame, le
tapoter un peu, et ils savent tout.
Ben, si vous voulez savoir, tout cela n’est
que coquineries allemandes, lubies occidentophiles.
On pourrait aller bien plus loin à
condition de rester sur la terre ancestrale, à nos traditions nationales – on
pourrait évoquer l’âge d’or des chamanes et des bardes et y puiser.
Je lance un appel par la présente pour un
nouveau procédé dans la science divinatoire. Je fais revivre un vieux souvenir
culturel hongrois de saveur historique, arrangé naturellement sur une base
scientifique, pourvu des explications et des justifications comme il se doit
dans notre époque matérialiste.
Je prouverai qu’il y avait quelque chose dans cette vieille
coutume, et d’ailleurs les sciences naturelles modernes n’ont pas manqué d’y
déceler les tenants et aboutissants. Faites-moi confiance, pour moi ce n’est
rien. Au besoin, si ça ne marche pas autrement, je m’associerai avec quelque
professeur universitaire allemand, il écrira bien un livre sur le sujet.
J’escompte le succès.
Le pied, la jambe, la cheville, le genou –
quel intérêt ?
C’est vieux jeu.
La dernière science divinatoire se base sur
les intestins.
Mesdames, j’annonce qu’à la saison
prochaine s’ouvrira mon salon où, en conformité avec la vieille tradition
hongroise, nous prédirons l’avenir à
partir des intestins ; mes experts nouvellement embauchés seront le
Professeur Chamane et le Professeur Barde.
Prédictions intestinales pour dames
aspirant à des prophéties exclusives.
Parmi les messieurs, je prédis (à partir
des intestins), les yeux fermés, à ceux qui ont inventé toutes ces diverses
prophéties, qu’ultérieurement, après que l’opinion publique éveillée à la
conscience aura terminé son affaire avec ses intestins, ils seront écrasés sous
les pieds d’une victime enragée par cette manie des prédictions.
Pesti
Napló, 2 août 1929