Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
l’interprÈte
Pour la personne dont j’ai entendu cette histoire, je
dépose le copyright, dans la mesure où quelqu’un
entreverrait quelle charmante idylle en un acte on pourrait en tirer.
Le héros en est un jeune
garçon rêveur, blond aux yeux bleus. Une âme de
poète, homme de lettres dans la vie, parlant de nombreuses langues.
C’est à cela qu’il doit que tout bidasse qu’il soit,
il n’est toujours pas au front – le corps des officiers a besoin de
lui, ils l’utilisent comme interprète.
Le régiment arrive le soir dans une
ville polonaise. Quelques-uns des officiers sont hébergés au
château, dans une aile du rez-de-chaussée,
l’interprète est oublié parmi eux, il ne sait pas
lui-même ni comment ni pourquoi. Il s’installe confortablement pour
se coucher, il s’entoure de livres, se met à lire. Une heure plus
tard la porte s’ouvre violemment, un capitaine rouge, haletant fait
irruption.
- Hé… Vous… C’est
quoi déjà votre nom – dites, vous parlez polonais ?
- Oui, mon Capitaine, affirmatif !
– Le garçon se dresse au garde-à-vous.
- Also, vous
venez illico avec moi !
Ils longent le couloir à grands pas
pressés. Ils franchissent une porte, ils parviennent dans un jardin
crépusculaire – au-delà du jardin une sorte de
métairie. À la fenêtre d’une minuscule cabane une
jeune fille polonaise étonnamment belle.
- Halt !
– crie le capitaine. – Vous restez ici ! Vous
répétez en polonais ce que je dis à cette dame !
Le garçon acquiesce
respectueusement.
- Donc : bonsoir, jolie fleur.
Le garçon traduit. La jeune fille
rougit, rit, jette un regard chaleureux à l’interprète.
Le capitaine dicte :
- Est-ce que je vous plais ?
Le garçon traduit, la fille rit,
hausse les épaules, puis approuve.
Et ainsi de suite, pendant un moment la
fougueuse déclaration d’amour suit son cours. Le garçon
traduit tout, la fille se dérobe au début, puis se laisse aller.
Cinq minutes plus tard, à la question brûlante « m’aimes-tu ? »
elle profère d’une voix frémissante le oui
béatifique.
Le capitaine est au comble du bonheur. Il
dit :
- D’ici une heure traverse le jardin,
observe dans quelle chambre je vais entrer et suis-moi là, tu comprends ?
Le garçon traduit tout, mot à
mot.
Elle fait oui de la tête, elle a
compris, puis quitte vite la fenêtre.
Et une heure plus tard, les joues rouges,
échauffée, couverte d’un fichu, elle traverse le jardin, la
maison, le couloir, à pas de loup, et entre dans la chambre du bidasse
blond aux yeux bleus, l’interprète.
Pesti
Napló, 1er septembre 1929.