Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
RENSEIGNEMENT
’ai demandé un
renseignement par courrier à quelqu’un, et en cas de
réponse favorable on pourrait entamer une affaire commerciale.
La personne à qui j’ai
demandé ce renseignement, Monsieur Bée, je le connais
à peine, tout ce que je sais c’est qu’il connaît
très bien Monsieur A, la personne sur laquelle je veux me
renseigner.
Monsieur Bée m’a
répondu avec courtoisie et, faisant appel à ma discrétion,
il m’a révélé franchement que Monsieur A est
généralement un parti fiable, sous réserve de faire
attention qu’il ne prenne jamais l’initiative, car ses
capacités intellectuelles sont limitées, ce qui ne serait pas
trop grave s’il s’agissait d’un homme modeste, mais il est
très imbu de lui-même.
Cet avis trop élaboré
m’a paru suspect. J’ai donc écrit une lettre à
Monsieur C, un proche ami de Monsieur Bée, et je lui ai
demandé des informations sur ce qu’il pense de
Monsieur Bée, c’est-à-dire si d’après lui
on pouvait de fier au jugement émis par Monsieur Bée quant
à la connaissance des caractères.
Monsieur C m’a répondu
par retour de courrier et, illustrant par des cas précis, il a
affirmé qu’en effet, Monsieur Bée est certainement un
gentleman, il n’a qu’un seul défaut : il voit et
analyse tout le monde à travers sa propre vanité. Tous ceux qui
le flattent sont à ses yeux des hommes excellents, et ceux qui sont
sincères sont tous des ânes bâtés. Ainsi par exemple,
ces derniers temps il s’est mis en tête de dire du mal de
Monsieur A qui serait un imbécile, simplement parce qu’un
jour il lui a dit sa vérité en face ; pourtant quelle
différence entre lui et Monsieur A… !
Le cas a commencé franchement
à m’intriguer. Au club j’ai pris Monsieur D à
part ; il était pendant de longues années le
supérieur de Monsieur C et je lui ai demandé de me décrire
franchement le caractère de ce dernier, car j’avais besoin de
savoir si je pouvais prendre ce qu’il disait au sérieux.
Monsieur D a paru disposé à me renseigner et m’a
rassuré : au cas où c’est en affaires que
j’avais besoin de C, il garantissait que celui-ci ne me tromperait
pas ; mais pour l’amour de Dieu, je ne devais pas me fier à
ce qu’il raconte, car chacun sait qu’il ment comme il respire.
Nous en sommes là, et maintenant je
devrais savoir ce que je dois penser de Monsieur A. Mais avant de formuler
un avis sur les rapports à établir avec lui, je vais en tout cas
écrire une lettre anonyme à un de mes bons amis, en lui demandant
de m’écrire en urgence poste
restante quel homme il voit en moi et si je peux me fier à mon
opinion.
Pesti
Napló, 3 avril 1930.