Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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INSIGNES

Il s’agit de ces petits boutons, anneaux, croix de toutes sortes, que certaines personnes piquent dans leur boutonnière pour signifier leur appartenance à tel ou tel association ou société, exigeant par là même le traitement qui convient.

Les insignes.

Au début c’était généralement les membres des clubs sportifs qui en affichaient. On levait les yeux avec égards sur la personne ; évidemment, c’est seulement un membre ordinaire de la Confédération gymnastique des Sauteurs de tonneaux et Coureurs en sacs, ainsi que des Mangeurs de tartines à la confiture de la ville de Pécel ; il fallait au moins le grade de commandant pour arborer ce carré rouge sur fond vert, à sa boutonnière.

Puis d’autres insignes sont apparus. L’Armée du Salut porte aussi son insigne, dessinant un cercle magique autour de ses fidèles, noli me tangere.

Les espérantistes disposent d’un autre insigne, surtout pour se reconnaître entre eux s’ils ne se comprenaient pas. Les membres de la fanfare ont leur insigne qui fait savoir que ça leur est permis. Portent un insigne les membres de l’automobile club pour éviter de s’écraser entre eux. Les adeptes Paneuropéens aussi, pour se sauter au cou quand ils se rencontrent, alors que les Éveillés[1] et les Sionistes arborent des insignes à part, pour ne pas se sauter au cou par erreur.

Dernièrement les membres d’une troupe théâtrale ont aussi créé leur insigne. Il est question de le partager avec le public de leur théâtre.

Mais cela ne suffit pas.

Comme il serait plus aisé de s’orienter dans le monde si le port d’un insigne devenait obligatoire, et si chacun arborait ouvertement sa situation, sa conviction et son appartenance. Il faudrait se fixer un petit panneau à la boutonnière, chargé de diverses indications semblables aux plaques d’immatriculation des automobiles.

L’alliance portée à notre annulaire est aussi un insigne après tout, mais insuffisamment clair. Il conviendrait qu’un insigne adéquat affiche si la personne vit un mariage heureux ou malheureux. Un insigne devrait indiquer mes convictions politiques, et si je n’ai pas d’auto, par quelle voiture je me ferais le plus volontiers écraser, si je préfère les vers libres ou rimés, si je me qualifie d’homme bon ou mauvais, ou alors que je n’appartiens à aucune association.

Et de toute façon.

Il conviendrait enfin d’inventer aussi un insigne pour documenter le fait qu’untel descend d’un père, a été mis au monde par une mère et, de façon surprenante, se sent le congénère des autres humains à l’époque quand et à la place où il porte cet insigne.

 

Pesti Napló, 23 avril 1930.

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[1] Az Ébredők : mouvement catholique antisémite