Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
CRTR SNS VLLS
ne de mes nouvelles traduite en hébreu me parvient,
dans une revue palestinienne. Je la trouve sensiblement plus courte que
l’original, mais un excellent connaisseur de la langue (en
l’occurrence un pasteur protestant), qui me l’a retraduite,
m’a rassuré : c’est en fait parce que dans
l’orthographe hébraïque on ne fait pas figurer les voyelles
par écrit, ceux qui connaissent la langue les entendent
d’eux-mêmes.
Mais c’est magnifique, me suis-je
écrié avec enthousiasme, c’est en fait une sorte de
sténographie – c’est franchement pratique ! Comment
ça se fait que nos philologues et orthographologues
n’ont jamais pensé à reprendre cette idée
intelligente ?
Cela pourrait grandement faciliter la
technique de l’écriture, et économiser du temps et du
matériel.
À quoi servent toutes ces
voyelles ?
Un de mes amis proches pratique depuis
longtemps cet exercice de technique langagière : il ne prononce
jamais les voyelles, pourtant je le comprends très bien quand il dit par
exemple : bnjr, mn chr
Frgs, j’m bcp tn drnr rtcl, vx-t n cgrtt ?[1]
Il a dû économiser
énormément, et même nrmmnt de
temps dans la vie, c’est pourquoi il a mieux réussi que nous tous.
Essayez d’imaginer, Monsieur le
Rédacteur, et aussi mon cher Éditeur, à quel point le
typographe aurait moins de travail, on dépenserait moins de papier et de
plomb ! On pourrait également imaginer de transformer les machines
à écrire pour ne comporter que des consonnes, vingt touches de
l’alphabet suffiraient à la place de l’alphabet de
vingt-six, les machines seraient moins encombrantes et pourtant on
écrirait deux fois plus vite dessus. Le journal pourrait publier deux
fois plus de texte sur le même espace.
Bien sûr, le journaliste, payé
à la ligne, ferait une mauvaise affaire… Mais il se consolerait en
sachant qu’il informerait plus vite et plus concisément le public
avide de nouvelles, en lui apprenant par exemple que l pblc
prnd bnn nt t pprv nnmmntt l
tt nv sstm d’bnnmnt thtrl prps
pr l gvrnmnt…[2]
C’est difficile à
comprendre ?
Et si j’écris aussi les
voyelles, alors c’est facile à comprendre ?
Az Est, 10 août 1930.