Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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GAZ ET CONTREGAZ

Propositions pacifiques

En passant à Buda, mon attention a été attirée par une cheminée extrêmement haute, au coin d’une maison en construction. Tiens donc, je me suis dit, j’en ai déjà vu de telles sur plusieurs maisons neuves : les gens cuisinent de moins en moins sur des fourneaux à l’ancienne, les cheminées poussent de plus en plus haut, je ne comprends pas.

Mon ami patineur artistique et connaisseur des revues de mode et des bals, au sujet duquel je viens d’apprendre après quatre années de fréquentation qu’en secret il est ingénieur mécanicien, et qu’en cette qualité les matins il donne fréquemment des conférences radiophoniques dans les bureaux d’une agence de théâtre sur la culture des fleurs artificielles, s’est immédiatement mis à ma disposition pour m’expliquer avec prévenance et une haute technicité que de nos jours on construit pour toutes les maisons, partout en Europe, de telles cheminées, contre le gaz. En effet, expliqua-t-il modestement, dans les guerres futures le gaz sera l’arme la plus générale, il y aura des centaines de gaz différents contre les villes, et étant donné qu’une partie de ces gaz lâchés d’un avion ne couvrent la ville qu’à une certaine hauteur, on aura besoin de ce genre de périscopes qui, émergés des maisons enfoncées sous l’inondation de gaz, aspireront de l’air frais pour les habitants des maisons attaquées par ces centaines de gaz.

Il a ensuite énuméré les différents gaz sur lesquels nous pourrons compter : le gaz étouffant, toussant, larmoyant, syncopant, brûlant, laryngoraclant, mortellement courrouçant, affolant, enivrant, stomatocrampant et essorant ; tous, servant des objectifs militaires, se préparent de nos jours dans des laboratoires et des cliniques au service des progrès de la science, de façon que par autodéfense le vil ennemi attaquant apprenne à vivre. Évidemment, pour cette raison on fabrique aussi des contre-gaz et des gaz neutralisant les contre-gaz, ainsi que des gaz neutralisant l’effet des gaz neutralisant les contre-gaz, et ainsi de suite.

Sur le retour chez moi je pensais que cette histoire de gaz n’était nullement épuisée. Les fabricants de gaz ne se préoccupent de l’intérêt de l’humanité qu’en rapport avec les guerres, pourtant la paix ça existe aussi, et la paix aussi a ses exigences – les gens, en dehors de cette occupation principale de s’entre-tuer, ont toutes sortes d’autres activités les uns avec les autres, auxquelles ces grands techniciens chevronnés n’ont jamais pensé.

Quels gaz merveilleux on pourrait trouver pour faciliter les contacts sociaux, les circuits commerciaux, qui produiraient des effets de masse là où jusqu’ici il fallait vaincre un à un le frein des résistances.

Prenons tout de suite le cas du commerce. Il consiste en toutes sortes de réclames, de moyens incertains pour attirer l’attention, puisqu’on ne peut jamais savoir de quelle humeur elle trouve le consommateur.

On recherche un gaz qui fasse agréablement enivrer et endormir celui qui le respire ; chimiquement ce gaz est composé de façon telle que celui qu’il endort, rêve qu’il n’y a et il n’y aura jamais une crème faisant briller les chaussures mieux que la pommade Krepuska.

L’alimentation publique, la question du chômage et autres petits problèmes aussi pourraient être réglés simplement avec l’ainsi nommé gaz d’appétit, qui permettrait à des dizaines de millions de gens de mourir d’inanition tout en leur prêtant un sentiment de satiété. Les soucis du chauffage en hiver seraient résolus par des gaz chauffants, en jargon technique gaz-flamme, à même de monter la température. Par voie analogue il existerait en période de canicule le gaz rafraîchissant nommé gaz-du-froid, ou encore gaz-frisson.

Maintenant, écoutez-moi, on pourrait résoudre les difficultés gazéconomiques. On recherche un gaz qui fasse si peur à tout le monde que, comme dit le proverbe, on en tremble jusqu’à perdre le dernier centime de sa poche, en revanche la peau des riches pleine aux gaz d’argent caché s’ouvrirait comme une bourse.

La même chose vaut aussi en politique. Rien de plus facile que de trouver le gaz qu’il faut pour faire de l’opposition, ou des fidèles du gouvernement et inversement – les séances du gouvernement en deviendraient très brèves, le président aspergerait avec son Fly-Tox son impartiale opinion sur la proposition à l’ordre du jour, et aussitôt il la mettrait aux voix.

On fabriquera un gaz dédié aux amoureux sans espoir, qui les empêchera de supporter même l’odeur de leur récent idéal – par contre, les femmes vaniteuses pourraient mettre en marche, par simple pression sur un bouton, le dévissoir à gaz, qui fera se retourner les hommes dans la rue.

La tâche des auteurs dramatiques serait bien sûr plus facile. Sous prétexte de vaporisation, avant la tombée du rideau, ils inonderaient la salle de gaz applaudisseur inodore, incolore et sans saveur.

Et puis, bien sûr, n’oublions pas le gaz contre le gazier qui apporte la facture du gaz. Et pour le lecteur écossais au cœur de pierre, réfractaire à l’humour, qui ne trouve pas mes propositions assez amusantes et originales, je recommande le gaz titilleur de diaphragme et chatouilleur de plantes des pieds, et le gaz l’envoie en l’air s’il n’a pas enfin le cœur à sourire.

 

Színházi Élet, 1930, n°38.

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