Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
OMNIBUS ODORANS FŒTIDA
Ce que je veux dire, ça sonne plus
joliment comme ça. La désignation scientifique d’un nom de
fleur, d’une plante pharmaceutique, dans le pire des cas quelque petit
insecte exotique.
Car je ne veux pas faire irruption, voire
(car c’est de cela qu’il s’agit) entrer en boulet de canon
dans la maison, qu’on ne me dise pas que je fais l’impertinent,
donc j’y vais avec prudence, pour que la personne dont je parle
comprenne : j’entends par omnibus
l’autobus, et par fœtida…
Ne le disons pas aussi clairement. Le plus
volontiers je ne parlerais même pas de la chose devant le public,
ça manque de finesse, je préférerais attirer un instant de
côté mon cher et respecté ami, l’Autobus Pestois. Je l’inviterais dans une rue latérale
un moment où personne n’y voyage, et je lui soufflerais dans le
klaxon : écoute, je ne voulais pas t’avertir devant les
trams, les taxis et les autres véhicules, est-ce que ça les regarde,
n’est-ce pas ? Mais s’il te plaît, fais quelque chose,
peut-être que tu ne t’aperçois pas que tu es enrhumé
– j’ignore avec quoi on te nourrit, du Motalko[1] ou quoi, mais fais quelque chose car
c’est insupportable… Oui, insupportable, on tombe en
pâmoison, on a l’estomac retourné, aussi bien ton passager,
surtout au moment de la descente, que celui près de qui tu passes :
des minutes après ta disparition, tu n’es même plus visible,
mais on garde l’odeur de ton passage, tout au long de
l’avenue… C’est une odeur incroyablement perfide, complexe,
écœurante, qui s’incruste dans le nez pendant des heures,
elle contient, depuis l’arôme caractéristique du chou pourri
jusqu’à la violente et pestilentielle atmosphère des
ammoniaques, toutes les nuances de la compétition d’odeurs des
fragrances repoussantes.
Fais quelque chose, trouve un produit, ou
parles-en à ton patron… Ce n’est pas digne de ton apparence
par ailleurs convenable, ta popularité gagnée par tes excellentes
vertus, c’est une vilaine maladie qui nous rappelle la punaise des
champs, avec son dos mignon et coloré et sa sécrétion
monstrueuse qui infecte tout ce qu’elle touche…
Je peux te le dire à
l’oreille, certains t’affublent du sobriquet de putois
mécanique, dans ton dos.
Après tout il n’est tout de
même pas souhaitable que la lettre P,
l’initiale de ton nom officiel, le mot fier "Pestois",
soit remplacé par les âmes simples et ignorantes par
l’initiale identique d’un autre adjectif : puant.
Az Est, 1er novembre 1930.