Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
ÊTRE APRÈS
Pas pour ça. Évidemment je suis
ravi. La fête du cœur, joie familiale, cadeaux, paix, repos…
Mais tout de même…
Avouez.
Ce serait mieux d’être
après.
Être après les choses est de
toute façon agréable.
Quand on est après la chose, elle ne
cause plus de migraine, de soucis, d’angoisse.
J’ai toujours pensé que les sous-abonnés sont des sages, les
vrais jouisseurs. Des hommes qui attendent tranquillement que d’autres
aient commandé et lu une revue ou un livre – puis ils se procurent
pour des broutilles les documents estimables, ceux qui sont de valeur
éternelle, non des actualités
éphémères !
Les habits dévêtus par les
maîtres ne sont pas usés, ils sont mieux que les neufs, tout juste
passés de mode.
C’est la seule chose qu’il
faudrait : "être après", passer outre, alors
cesserait tout problème et toute angoisse – je ne
m’inquiéterais plus pour le reste.
Ne pas se préoccuper de la mode. La
mode est une date. Ne pas prendre la date au sérieux. Attendre
qu’elle passe. Jusqu’au lendemain. La vie en deviendrait bien plus
simple et moins chère.
Un seul jour – le 24 et le 25, par
exemple. Le 25 tu peux acheter le sapin de Noël vingt fois moins cher que
le 24. Ce n’est plus un sapin de Noël ?
Ridicule.
Es-tu obligé d’acheter ton
manteau de fourrure en hiver ?
Es-tu obligé d’aller au match
de foot le soir du match ? Ne peux-tu pas attendre le lendemain ? Le
lendemain on te donne gratuitement le même billet qui coûtait dix pengoes
la veille.
Pure illusion.
Es-tu obligé d’acheter ton
billet de loterie avant le
tirage ? Cinq minutes seulement après le tirage tu peux en avoir
tout un tas, également gratis – tu peux très bien te faire
autant d’illusions sur le gros lot.
Veux-tu vraiment cette petite à ses
vingt ans ? Tu attends vingt ans, on te donne même de l’argent
avec pour que tu la prennes, ça ne te coûtera aucun effort.
Si tu pouvais survivre à tout
d’un seul jour seulement – je veux dire à la vie ! On
s’en sort si bon marché, après sa mort.
C’est le plan d’économie
idéal : je le recommande à l’attention de Monsieur Wekerle[1]. Il n'y a qu’une chose qui
cloche : il n’est pas recommandé de le diffuser. Plus nombreux
le suivent, moins ça vaut.
Az Est, 30 décembre 1930.