Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
EXAMEN
Cette histoire
m’a été rapportée par un charmant avocat plus très
jeune – les noms n’ont pas d’importance, le cas remonte si
loin dans le temps, même les acteurs ne le renieraient plus.
- C’était peu avant mon
examen de fin de cycle. Mon professeur était un des
célèbres savants du monde juridique d’alors, un homme
d’une grande intelligence, au demeurant la terreur des étudiants
qu’il recalait sans pitié. Comme il se doit à l’allègre
futur juriste que j’étais, c’est à la dernière
minute que j’ai commencé à m’inquiéter de
savoir si on pouvait faire confiance à l’axiome selon lequel un
juriste n’est jamais touché par la foudre. J’ai
décidé de rectifier un peu les chances de madame
Puis je me suis tranquillement présenté
à l’examen.
Lorsque, après l’exécution de
trois jeunes juristes, ce fut mon tour, le professeur jeta sur moi un regard
rapide, puis tira une lettre de sa poche et la posa devant lui sur la table. Je
reconnus sur-le-champ, avec effarement, l’écriture de mon oncle.
Je commençais à me sentir très
mal à l’aise. Le professeur s’adressa à moi
d’une voix calme et forte.
- C’est vous ? Ravi de faire votre
connaissance. Votre oncle a bien voulu attirer mon attention sur votre
personne.
J’ai jeté un regard de frayeur dans la
direction de l’auditoire.
Le professeur fit semblant de ne rien remarquer. Il se
concentra, puis commença l’examen.
- Eh bien, Monsieur le candidat, dit-il empreint
de courtoisie, je crois qu’il sera peut-être intéressant de
nous occuper des différents délits rencontrés dans la
pratique de l’exercice du droit économique et politique.
Parlez-nous… Parlez-nous des différentes formes de corruption
morale et de trafic d’influence ainsi que de leur qualification.
Je me sentis blêmir, puis mon visage devint
écarlate, avant de pâlir de nouveau. Je crus entendre des
gloussements du côté de l’auditoire derrière moi.
J’avais une forte envie de m’enfoncer sous terre. Pas un son ne
sortait de ma gorge. Mes oreilles bourdonnaient, j’entendais seulement le
petit mot du professeur « Alors ? »,
répété à plusieurs reprises.
Je considérais qu’un gros poids me
tomberait du cœur s’il se contentait simplement de me recaler, de me
renvoyer à ma place, plutôt que de me faire arrêter sur le
champ.
Mais rien de tel ne se produisit.
Après un silence de deux minutes paraissant
infini, pendant que je souffrais toutes les tortures de l’Inquisition, il
dit :
- Apparemment, il me semble, vous ne vous y êtes
pas préparé. Je m’en suis douté. C’est votre
chance. Si vous vous y étiez préparé en théorie, je
vous aurais recalé sans regret à cause de l’application pratique de l’exemple. En l’occurrence je
considère votre impéritie dans la connaissance de la loi, et je
vous pose une autre question.
Il m’a posé une question facile à
laquelle j’ai pu répondre aisément, et a
décidé mon admission.
Pesti Napló, le 13 février
1931.