Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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ENCORE PLUS DÉSAGRÉABLE

Dans la petite série où j’ai déjà écrit sur des petites choses désagréables et fâcheuses de la vie, il en a déjà été question si je me rappelle bien, sous le titre de Ce n’est pas moi qu’on salue. J’ai évoqué cela parmi d’autres gaucheries et maladresses pénibles que nous essayons d’oublier au plus vite quand elles nous viennent à l’esprit, dans la rue ou en société, nous rougissons, tous tapons du pied, secouons la tête, et à l’étonnement de tous nous disons tout à coup : « que le diable l’emporte ! », ou « oh, que c’est ennuyeux, j’ai oublié, bon, tant pis ! », et si on demande de quoi il s’agit, nous répondons : « rien, rien, quelque chose m’est venu à l’esprit ». Dans ce cas il m’était venu à l’esprit que dans la rue en venant j’avais reçu une fois de plus très gracieusement, empreint d’une grande dignité, une humble salutation qui en fait était adressée à un gentleman inconnu qui passait derrière moi.

Jusqu’à présent je croyais que parmi les blessures de cette sorte à notre dignité cette petite honte était la plus désagréable de toutes.

Aujourd’hui dans le tram j’ai pu observer un cas limite de pénible malentendu, probablement plus pénible que les précédents.

Un monsieur était assis à côté de moi, et en face de moi un autre monsieur.

Une minute après que le monsieur en face a pris sa place, le monsieur à côté de moi lève son chapeau.

Le monsieur en face acquiesce amicalement, il y ajoute même un aimable sourire, signalant sans ambiguïté que bien qu’il ne se souvienne pas sur le moment à qui il a l’honneur, il se réjouit néanmoins et ça ne tardera pas à lui revenir.

Mais l’expression froide et renfrognée de celui qui a salué lui fait comprendre sa méprise, c’est-à-dire que le salut ne lui était nullement destiné.

Il détourne le visage, d’une part pour cacher sa gêne et pour chercher d’autre part le vrai destinataire.

Mais personne n’était assis derrière lui.

Alors il regarde par la fenêtre et la lumière se fait dans son esprit.

Le tram passait devant une église.

Non seulement ce n’était pas adressé à lui, mais il ne s’agissait même pas d’une personne.

Il a pris pour lui un salut adressé à Dieu.

Dans sa distraction c’est lui qui a répondu par un « je vous en prie » au soupir « Seigneur, je vous salue ».

C’est affreux. Dieu lui pardonnera peut-être, mais lui, il ne se le pardonnera jamais.

 

Az Est, le 8 mars 1931.

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