Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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examen des lieux

ou

Aveu sincère en tant que circonstance atténuante

 

Les droits de présentation de la présente pièce[1] doivent être demandés exclusivement aux éditions théâtrales du Docteur Sándor Márton (Budapest, IVe, Bécsi u. 1.). La loi LIV/1921 punit sévèrement toute représentation sans autorisation préalable.

Copyright 1930 by le Dr. Alexander Márton.

 

Créé sur la scÈne du boulevard TerÉz, dans la distribution suivante :

 

Hörcsög :                                Géza Boross[2]

schwerkopf :                         Vilmos Komlós

juge d’instruction :              József Rolkó

gardien de prison :               József Berky

Greffier :                               Árpád Fenyő

garçon de cafÉ :                   Lajos Barna

37-Examen des lieux l

Le garçon de cafÉ (vers l’extérieur) : Par ici s’il vous plaît.

Le juge d’instruction et Le Greffier (entrent, le greffier, une serviette à la main.)

Le Juge d’instruction (vers l’arrière) : Restez là jusqu’à ce qu’on vous appelle. (Au greffier.) L’offensé est-il présent ?

Le Greffier : Le monsieur attend dehors dans sa voiture.

Le juge d’instruction : C’est bien. (Regarde alentour, au Garçon.) : nous voici donc sur les lieux.

Le garçon de cafÉ (hausse les épaules) : C’est-à-dire, nous sommes ici au café Zeppelin… Vous désirez un petit noir ?

Le Greffier : Vous la fermez ! On n’est pas au marché noir, ceci est un acte officiel, en ce moment, on n’est pas au café Zeppelin, mais sur les lieux des faits. Un local officiel. Répondez correctement à Monsieur le Juge d’Instruction, sinon je vous fais évacuer les lieux…

Le garçon de cafÉ (hausse les épaules) : Oui, Monsieur.

Le juge d’instruction : Laissez, Monsieur le Greffier… Il se pourrait qu’on en ait besoin en tant que témoin… Prenez place, s’il vous plaît.

Le Greffier (regarde alentour, puis s’assoit à une table, sort des documents de sa serviette, les étale sur la table, installe un encrier, se prépare, s’adresse au garçon: Alignez les chaises contre le mur. C’est là qu’on installera les personnes à auditionner. Je veux l’autre table à côté de moi.

(Le garçon s’exécute.)

Le juge d’instruction (s’assoit derrière l’autre table, chausse ses lunettes) : Donnez-moi le témoignage et le procès-verbal du premier interrogatoire. (Le greffier lui tend des documents.) Merci. (Il sonne.)

Le garçon de cafÉ (saute de la chaise sur laquelle il s’était assis) : Vous désirez un petit noir ?

Le Greffier : Quelle insolence... Je vais vous faire évacuer… La sonnerie signale que l’acte officiel a commencé… Asseyez-vous…

Le garçon de cafÉ : Entendu… (Il se rassoit.)

Le juge d’instruction (Il sonne de nouveau) : Je commence la deuxième séance d’auditions de l’instruction de l’affaire criminelle Hörcsög, associée à un transport sur les lieux.

Le Greffier (au garçon de café) : Quelle insolence, levez-vous…

Le garçon de cafÉ : Vous avez bien voulu me dire… fait savoir à l’instant…

Le Greffier : Mais c’est un acte officiel… (Le garçon de café se lève.)

Le juge d’instruction : Faites entrer les offensés, s’il vous plaît.

Le Greffier (à haute voix) : Appariteur, faites entrer l’offensé. (Pause.)

Le Greffier (hurle) : Vous êtes sourd ?

Le garçon de cafÉ (étonné) : Moi ?

Le Greffier : Naturellement. Étant donné qu’il n’y a pas d’appariteur, c’est vous qui allez jouer ce rôle officiel. Courez immédiatement à l’automobile qui stationne à l’extérieur et invitez Monsieur Schwerkopf se trouvant à l’intérieur de bien vouloir se donner la peine d’accéder à la salle d’audience.

Le garçon de cafÉ (hausse les épaules, sort.)

Le juge d’instruction (s’immerge dans les documents. Murmure pour lui-même) : Hum. Cet aveu est incohérent… Il dit qu’il s’est d’abord cogné la tête… C’est après qu’il l’a retourné… Eh bien, on fera la lumière sur tout ça.

Le Greffier (commence pendant ce temps à écrire le procès-verbal.)

Schwerkopf (entre, salue en se courbant) : Je vous souhaite le bonjour, Monsieur le Juge d’Instruction.

Le juge d’instruction (poliment) : Bonjour, Monsieur… Je vous prie de prendre place. Vous êtes au courant, n’est-ce pas, de la raison pour laquelle le responsable de l’instruction a souhaité votre présence ici ?

Schwerkopf : Naturellement… J’ai reçu la convocation… Pour un examen des lieux, dans l’affaire…

Le juge d’instruction : Oui, Monsieur, dans l’affaire criminelle Hörcsög. Êtes-vous au courant de la signification de cet acte officiel ?

Schwerkopf (ennuyé) : Naturellement… Pour un examen des lieux… Pour un examen officiel… Écoutez, moi je suis abonné à ces Bulletins… Dont le rédacteur est Monsieur Pekár

Le juge d’instruction : Dans la pratique de la criminologie moderne l’examen des lieux en tant que moyen important de la description exacte du crime joue un rôle considérable.

Schwerkopf : C’est ça…

Le juge d’instruction : La cour se transporte sur le lieu du crime, elle amène avec elle le ou les coupables, elle les interroge sur place. La simple vue du lieu brise souvent même les dénégateurs les plus endurcis.

Schwerkopf : C’est très bien, voyez-vous. Il faut les briser. Ça ne marche pas autrement.

Le juge d’instruction : La criminologie basée sur la psychologie moderne peut aller encore plus loin si nécessaire. Dans le cadre de l’examen des lieux nous pouvons faire reconstituer son acte par le criminel – il doit jouer comment il a commis son acte. Ainsi l’examen génère une image nette sur le déroulement du crime. La valeur de cet aveu démonstratif aux yeux du procureur est presque aussi grande que celle d’un flagrant délit. Par conséquent d’un point de vue légal on ne peut pas rêver preuve plus convaincante. Et d’un point de vue psychologique il exerce un fort effet sur le criminel.

Schwerkopf (rigole) : Ah bon. C’est très bien. Il doit être brisé, ce salaud.

Le juge d’instruction : Autrefois on utilisait ces examens des lieux avec reconstitution plutôt dans des cas spéciaux, cambriolage, meurtre avec effraction. Mais le représentant juridique de Monsieur a proposé d’appliquer cet examen au cas présent également pour une meilleure efficacité, et comme les textes y afférant n’excluent pas explicitement cette possibilité, ou plutôt ils ne déterminent pas de façon limitative les conditions qualitatives spécifiques de son application, nous avons été amenés à donner suite à cette requête.

Schwerkopf (ne comprend pas un traître mot) : Bien entendu, naturellement… Explicité… Si c’est mon avocat qui le dit, c’est juste. (À part.) Que diable a encore inventé ce Pacskay avec son esprit tordu ? (À haute voix) La loi, c’est la loi. Il faut le briser.

Le juge d’instruction (sonne) : Faites entrer le prévenu.

Le Gardien de prison et Hörcsög (entrent).

Le Greffier : Asseyez-vous.

Le Gardien de prison (fait asseoir Hörcsög et s’assoit à côté de lui).

Le juge d’instruction : J’ordonne l’ouverture de la suite de l’audition relative à l’examen des lieux. Monsieur le Greffier, je vous demande…

Le Greffier : Oui, Monsieur. (Il se met à écrire à vive allure. Par la suite, il ne cessera jamais d’écrire, quoi qu’il arrive, sans même lever la tête.)

Le juge d’instruction : Venez ici maintenant.

Hörcsög  (jeune homme troublé, inquiet, il se plante devant le juge d’instruction).

Le juge d’instruction : Regardez autour de vous. (Hörcsög regarde.) Reconnaissez-vous cet endroit ?

Hörcsög (doucement) : Oui, Monsieur. C’est la pièce intérieure du café Zeppelin, où le soir il est aussi possible de dîner.

Le juge d’instruction : Exact. Lors du premier interrogatoire vous avez déjà reconnu l’essentiel des faits, vous devez toutefois nous éclairer sur quelques détails contradictoires. Donnez des réponses sincères à chacune de mes questions. Vous contribuerez ainsi grandement à obtenir notre indulgence lors du jugement de votre crime. (Hörcsög baisse les yeux.) Donc, le meurtre a bien eu lieu dans ce local-ci ?

Hörcsög (tressaille) : Meurtre ?!... (Il porte autour de lui un regard effrayé, aperçoit Schwerkopf.) Mais c’est Monsieur, là…

Le juge d’instruction : Oh, pardon ! J’ai confondu les deux dossiers… Il ne s’agissait pas de celui-ci. Alors, la chose s’est bien passée ici ?

Hörcsög (pleurnichant) : Monsieur le Juge, je suis un homme doux, j’ai toujours été pour la paix…

Schwerkopf (sursaute, en colère) : Un homme doux, pour la paix ?... Espèce de…

Le juge d’instruction (sonne) : Calmons-nous, Monsieur… (Vers Hörcsög.) Vous ne répondez que si je vous pose des questions. Nous sommes réunis ici pour examiner l’affaire dans ses détails. Donc, ce soir-là, après neuf heures (il farfouille dans ses dossiers.) vous vous trouviez ici, dans ce local.

Hörcsög : Oui, Monsieur, ici… Je prenais paisiblement mon café… Je prenais une tasse déjeuner pour dîner… Moi j’ai toujours été…

Le juge d’instruction (vigoureusement) : Répondez seulement à mes questions. Montrez-nous où vous étiez assis.

Hörcsög (cherche des yeux) : Ben, ici… (incertain) mais il y avait une table ici…

Le juge d’instruction : Oui, cette table à laquelle je suis assis était là-bas. Peu importe. Imaginez que cette table est toujours là-bas.

Hörcsög : Monsieur, je suis incapable de l’imaginer.

Le juge d’instruction : Comment ça, vous êtes incapable de l’imaginer ? C’est votre devoir de l’imaginer si on vous invite officiellement à l’imaginer.

Hörcsög : Monsieur, je suis un ancien combattant, invalide, j’ai reçu une balle dans la tête.

Le juge d’instruction (réfléchit) : Hum. (Il a une idée.) Eh bien, allez chercher deux tables. (Il sonne.) Gardien !

Le garçon de cafÉ (entre) : À votre service.

Le juge d’instruction : Apportez-en deux.

Le garçon de cafÉ : À la bonne heure… (Il sort deux menus.) Nous avons un large choix, pour vous servir… Petit-déjeuner complet, œufs au jambon…

Le Gardien de prison (le rabroue) : Apportez ce qu’on vous a  dit.

Le garçon de cafÉ : Bon, bon, d’accord… (Il va chercher deux petites tables dans la pièce voisine, puis il veut sortir.)

Le juge d’instruction : Restez ici, vous. Il se pourrait qu’on ait besoin de vous pour l’interrogatoire des témoins. (Le garçon de café s’assoit à côté de Hörcsög.) Bien, installez la table à l’endroit où elle se trouvait à l’heure des faits.

Hörcsög  (réfléchit, se promène avec la table).

Le Greffier (lui crie) : Cessez de déambuler… On est là pour faire tourner les tables ou pour un examen des lieux ?

Hörcsög (pleurniche) : Mais je veux tout faire avec exactitude. (Il pose la table.) Elle était ici à peu près…

Le juge d’instruction : Donc, la table se trouvait là et vous étiez assis à cette table ? (vers Schwerkopf) C’est exact, Monsieur ?

Schwerkopf : Oui, Monsieur le Juge. La table de l’accusé se trouvait à peu près à cet endroit.

Le juge d’instruction : Donc vous étiez assis à cette table et vous preniez votre café ? Montrez-nous où se trouvait la table du plaignant !

Hörcsög  (pose l’autre table à proximité de la première).

Le juge d’instruction (à Schwerkopf) : C’était comme ça ?

Schwerkopf (estime la distance entre les deux tables) : Oui, environ… Un peu plus près peut-être… Je n’ai pas pu bien les observer… Mais je crois qu’elles étaient un peu plus près…

Le juge d’instruction (se lève, s’approche, pousse la table un peu plus près) : Comme ça, à peu près ?

Schwerkopf : Oui, disons.

Le juge d’instruction (à Hörcsög) : Continuez.

Hörcsög : Ben, alors… (respectueusement) Monsieur le Plaignant était assis à cette table et il dînait…

Le juge d’instruction : Que mangeait-il ?

Hörcsög : Ben, je crois qu’il mangeait du chou farci.

Le juge d’instruction (à Schwerkopf) : Est-ce exact ?

Schwerkopf (faisant l’important) : Écoutez, ce n’est pas totalement exact…Il y avait bien du chou, mais pas avec de la farce, avec des boulettes de viande à part, interrogez plutôt le garçon sur ce sujet.

Le juge d’instruction (au Garçon) : C’est vous qui l’avez servi ?

Le garçon de cafÉ : Oui, Monsieur.

Le juge d’instruction : Vous souvenez-vous du plat de chou ?

Le garçon de cafÉ : Oui, Monsieur. C’était du chou en patouille. J’en suis sûr parce que c’était un samedi, et le samedi nous avons toujours du chou en patouille au menu… Venez le goûter un jour…

Le juge d’instruction : Entendu. Maintenant nous en sommes à la reconstitution des faits. Le Plaignant était à sa table en train de dîner. (À Schwerkopf.) Veuillez prendre place et faites comme si vous dîniez. (Schwerkopf s’assoit à la table ; à Hörcsög) C’était bien comme ça ?

Hörcsög : Non, ce n’était pas comme ça. Il dînait. Il avait une assiette devant lui et il était en train de manger.

Le juge d’instruction (perd patience) : Allons, allons. Imaginez qu’il a une assiette devant lui.

Hörcsög : Monsieur, j’ai reçu une balle dans la tête.

Le juge d’instruction (au Garçon) : Avez-vous du chou dans la cuisine ?

Le garçon de cafÉ (saute) : Oui, Monsieur, avec des tripes fraîches.

Le juge d’instruction : Bon, allez, apportez-en une assiettée.

Le garçon de cafÉ : Une grande portion ?

Le juge d’instruction (à Schwerkopf) : Est-ce que c’était une grande portion ?

Schwerkopf : Oui. Attendez : oui, c’était une grande portion.

Le garçon de cafÉ : J’y cours, Monsieur. (Il court.) Je savais bien qu’il commanderait quelque chose.

Le juge d’instruction : Donc, voyons. Le plaignant était donc assis ici. (À Schwerkopf.) Ici.

Schwerkopf : Un peu plus par là. Oui, à peu près.

Le juge d’instruction : Bien. Et l’accusé ?

Schwerkopf : À deux pas. Ici.

Hörcsög : ça ne devait pas dépasser un pas et demi. Autrement je n’aurais pas entendu la conversation.

Le juge d’instruction : Lors du premier interrogatoire, vous avez encore affirmé que c’était à deux pas.

Hörcsög : Monsieur, on m’a insulté.

Le juge d’instruction : Oui, oui… Bref, l’accusé reconnaît qu’il était assis ici. Asseyez-vous.

Hörcsög (s’assoit).

Le juge d’instruction : C’était comme ça ? (Hörcsög acquiesce timidement ; à Schwerkopf.) Bien. D’après le témoignage vous étiez en train de manger et vous discutiez avec le Garçon.

Le garçon de cafÉ (apporte l’assiette et la pose devant Schwerkopf) : Bon appétit, Monsieur.

Le juge d’instruction : Vous tombez à pic. Restez ici, mettez-vous devant la table. (À Hörcsög) Est-ce que le Garçon était ici ?

Hörcsög (incertain) : Je crois.

Le juge d’instruction : Donc vous reconnaissez que vous vous trouviez ici. (À Schwerkopf) Monsieur, pourriez-vous nous rappeler ce que vous disiez au garçon avant de subir l’attaque inattendue ?

Schwerkopf : Oui, très exactement. Je me le rappelle très bien. D’ailleurs je vous l’ai déjà dit à la première audience. J’avais dit au garçon qu’une nouvelle petite guerre mondiale ne ferait pas de mal parce qu’elle trempe l’âme de l’homme et qu’elle est bonne pour la santé aussi.

Le juge d’instruction (fouille dans les dossiers) : Oui, c’est ce qui est noté ici. (À Hörcsög) C’est ce que Monsieur a dit ?

Hörcsög : Pas tout à fait. Ça correspond à peu près, mais il ne s’est pas exprimé ainsi, il a dit que c’est bon pour les poumons. S’il avait parlé de la santé, la moutarde ne me serait pas montée au nez. Voilà. Mais il a parlé des poumons, et je crois même qu’il a dit que c’est bon pour le mou.

Schwerkopf (en colère) : Ce n’est pas vrai. J’ai parlé de la santé. Si l’accusé continue de couper les cheveux en quatre, moi aussi je tiens à reconstituer les termes exacts. Du mou ! Je n’ai pas l’habitude de parler de mou.

Le juge d’instruction : On y reviendra. Éventuellement on mandatera un expert du tribunal pour étudier d’ici aux prochains interrogatoires si vous avez l’habitude d’utiliser ce terme. Maintenant poursuivons la reconstitution. (À Hörcsög) Qu’est-ce que vous avez fait alors ?

Hörcsög (pleurnichant) : S’il vous plaît, je suis invalide de guerre… Je me suis emporté… Messieurs, j’ai de bonnes raisons pour savoir que la guerre ne fait pas de bien au mou…

Schwerkopf : J’ai dit poumon ! Insolent !

Hörcsög : Alors poumon.

Le juge d’instruction : Et qu’est-ce que vous avez fait alors ?

Hörcsög (pleurnichant) : Monsieur, je ne sais pas ce qui s’est passé. Monsieur, je…

Le juge d’instruction (le rabroue sévèrement) : Ne tournez pas autour du pot, ça ne vous avancera pas. Dites la vérité telle que ça s’est passé.

Hörcsög : J’ai eu une montée de bile. Et, heu… Et j’ai un peu bousculé par-derrière le… la très honorable tête du Monsieur.

Le juge d’instruction : Qu’est-ce que ça veut dire, vous l’avez bousculée ?

Hörcsög : Ou alors je l’ai attrapée…

Schwerkopf : Et il n’a pas cessé de hurler !

Hörcsög : Je n’ai pas hurlé… J’ai seulement dit : « Voilà comment ça fait du bien ! » C’est-à-dire c’est comme ça que la guerre fait du bien.

Le juge d’instruction (sonne) : Ne répliquez pas. Donc vous reconnaissez que vous l’avez frappé à la tête. Vous l’avez frappé comment ? Sur le côté ?

Hörcsög : Non, Monsieur, je crois que c’était par en haut.

Le juge d’instruction : Montrez-nous comment vous l’avez fait.

Hörcsög : Ben, peut-être comme ça… (Il se lève de la table, il passe prudemment sur la droite, il cherche dans ses souvenirs, puis il frappe prudemment la tête de Schwerkopf.)

Schwerkopf (en colère) : Ce n’est pas vrai. Ce n’était pas comme ça… D’abord, le coup sur ma tête n’est pas venu d’ici, mais de là, un peu plus en arrière. Et puis, il était beaucoup plus fort… Et comment… Écoutez, il a frappé si fort que ma tête a basculé dans mon chou. La farce est restée sur mon nez, je vous assure… Et un os du travers de porc a blessé mon nez jusqu’au sang. Je peux le prouver. Je me suis fait photographier peu après la scène. Mon nez était congestionné. Regardez, j’ai fait joindre la photo à l’acte d’accusation… On voit que l’accusé veut échapper à sa responsabilité.

Le juge d’instruction (sévèrement à Hörcsög) : Montrez-le-nous encore une fois. Mais je vous avertis, réfléchissez bien sur les faits, car si vous niez, vous aggravez votre cas…

Hörcsög (brisé, doucement) : Monsieur, c’est possible que le coup était peut-être plus fort.

Le juge d’instruction : Montrez-nous.

Hörcsög (se place derrière Schwerkopf).

Le juge d’instruction : Mettez-vous plus par là. Il était là, n’est-ce pas ?

Schwerkopf (guette vers l’arrière) : Oui… un peu plus par ici.

Hörcsög : Ici.

Le juge d’instruction : Là. Maintenant, montrez-nous. Mais je vous avertis que si vous induisez l’autorité en erreur…

Hörcsög  (frappe si fort Schwerkopf à la tête que le nez de celui-ci cogne dans l’assiette.)

Le juge d’instruction (à Schwerkopf) : ça s’est passé comme ça ?

Schwerkopf (se frotte le nez) : Ben, même ça, ce n’est pas assez, c’était bien plus fort que ça. Et ensuite il m’a attrapé par le cou pour me soulever, il m’a retourné et m’a administré un tel coup de pied aux fesses que je me suis étalé sur le seuil… Écoutez, si l’accusé insiste pour les mots justes, alors moi aussi j’y tiens !...

Le juge d’instruction (solennel, vigoureusement à Hörcsög) : Je vous somme pour la dernière fois de nous montrer comment vous avez exécuté l’acte incriminé. Je ne vous conseille pas d’embellir les choses, vous risqueriez d’aggraver votre cas ! Cédez à de bons sentiments, rentrez en vous-même.

Hörcsög (pleurnichant) : Monsieur, ça s’est passé comme je l’ai montré.

Le juge d’instruction (bienveillant) : Écoutez, jeune homme, soulagez votre conscience… Montrez-nous comment ça s’est passé ! L’aveu sincère sera considéré par le tribunal comme une circonstance atténuante. Vous n’avez aucun intérêt à nier ici. L’expertise médicale est dans le dossier.

Schwerkopf (victorieusement, pendant qu’il se frotte le nez) : Tout à fait exact. Je me suis fait expertiser partout…

Le juge d’instruction (extrait l’expertise du dossier) : La voici… Vous la reconnaissez ?... Soumettez-vous au poids des preuves, jeune homme !

Hörcsög (sanglote).

Le Greffier (doucement) : Soulagez votre conscience.

Le Gardien de prison : Monsieur, rentrez en vous-même !

Le garçon de cafÉ : Ne niez pas, Monsieur Hörcsög, je l’ai vu moi-même…

Hörcsög (brisé) : Messieurs, que voulez-vous de moi ?

Le juge d’instruction : Montrez-nous encore une fois comment vous avez fait..

Hörcsög (se range latéralement, fait un grand saut en avant, il cogne de toutes ses forces la tête de Schwerkopf dans l’assiette, puis il le soulève par le col, il lui administre un énorme coup de pied, et Schwerkopf s’étale de toute sa longueur sur le seuil).

Le juge d’instruction (à Schwerkopf) : ça s’est bien passé comme ça ?...

Schwerkopf (de par terre) : Oui, Monsieur le Juge d’instruction, ça s’est passé comme ça…

Le juge d’instruction (range ses dossiers) : Merci. Après que l’étude a révélé une image nette des événements, je considère l’examen des lieux comme clos. Je transférerai les documents au parquet. Par ailleurs, considérant l’aveu sincère de l’accusé dont nous avons tous été témoins ici, considérant qu’il n’y a pas lieu de craindre une fuite de sa part, j’exerce le droit que m’attribue le paragraphe XIV de la loi de 1929, et j’ordonne la mise en liberté de l’accusé pour la durée de l’instruction. (Au Gardien.) Veuillez libérer Hörcsög.

Le garçon de cafÉ : Vive la justice !

Le Greffier : Vive la justice !

Schwerkopf (par terre, en gémissant) : Vive la justice !

Le juge d’instruction (à Schwerkopf) : Je remercie le plaignant pour sa présence, je clos là l’examen des lieux ! Monsieur, vous pouvez disposer !

Schwerkopf (par terre) : Je vous remercie également… Monsieur le Juge d’Instruction… mais je vous prie… d’appeler deux porteurs… une civière et des draps… pour venir me chercher…

Le juge d’instruction : Pour vous transporter chez vous ?

Schwerkopf : J’aimerais mieux la clinique… (Deux personnes se baissent pour ramasser Schwerkopf.)

 

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Színházi Élet, 1931. n°12

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[1] L’auteur et les acteurs semblent être partiellement imaginaires, partiellement des noms connus déformés. Sándor Marton (1868-1940) était un  historien de la littérature.

[2] Acteurs de cabaret qui ont existé.