Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
ROYAUME DE
POCHE
Ce serait tellement simple de
trouver une solution. À tout cela. Il suffirait d’un peu
d’imagination et d’un peu de bonne volonté.
Et apprendre, observer,
comprendre les temps. S’adapter. Remarquez que la tendance tourne de
toute façon à ce genre de solution.
Tenez, par exemple en sport.
Aujourd’hui on rencontre
partout du golf en chambre. Qui aurait cru cela possible ? Le golf
était un jeu dimensionné pour des terrains spécialement
grands, il fallait disposer d’une très grande propriété,
avec des montagnes, des vallées et des forêts. Un loisir
onéreux, un passe-temps pour riches. Et tenez, voilà, il
s’est avéré qu’on peut magnifiquement y jouer sur un
terrain pas plus grand qu’une salle à manger correcte.
Le tennis, autre sport onéreux,
a depuis longtemps été réduit à une table, sans que
l’amusement ni la nature compétitive en souffrent.
Pourquoi
ne pas inventer la prochaine fois le football dans la paume de la main, la
course de chevaux de poche, le vol dans la salle de bains, la natation dans la
baignoire et la pêche à la baleine dans un verre ?
Ce
sont des choses tellement relatives.
Du
moment qu’au-dessus de tout, le plus grand bonheur de la vie,
l’amour, peut entrer dans une cabane, je ne vois pas pourquoi il faudrait
tellement d’espace pour produire des joies et des illusions
substantiellement moindres.
La
vue schématique qui a envahi la société, selon laquelle
les hommes veulent imposer la préoccupation principale de leur vie,
leurs états d’âme et leurs caprices à tout le monde
riche et bariolé (les philosophes l’affublent du terme de volonté), est une idée
fixe, survivance des temps archaïques.
Tout
serait pourtant si simple.
Prenez
le cas du charmant roi d’Espagne. Il a été chassé.
Et maintenant le voilà sans royaume. Il doit se sentir bien mal à
l’aise, le pays quotidien à ses pieds doit lui manquer.
Ne
pourrait-on pas lui aménager une Espagne de poche, avec des minicorridas, des castagnettes, du blanc
d’Espagne ? Et, évidemment, une bonne loupe en
complément qui agrandirait tout à la taille originale.
Ou
encore il serait vraiment facile d’aménager, à
l’attention des hommes politiques belliqueux, une guerre mondiale de
chambre où ils pourraient s’amuser à leur guise. Même
ceux qui veulent faire le bonheur de l’humanité auraient dedans
des commodités – les poètes un planétarium, un ciel
étoilé dans une masure, telle que j’en ai vu un à
Vienne.
Le paradis n’est pas mesurable en superficie, il
ne dépend pas de la dimension.
Et qui n’est toujours pas satisfait, qu’il
plonge dans une petite cuillère.
Az Est, le 31mai 1931.