Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
titres de piÈces dans le miroir de l’Époque
Une valeur éternelle, c’est
évidemment autre chose. C’est du solide.
L’éternellement beau, l’éternellement vrai, objets
éternels de l’art, incarnés dans les
chefs-d’œuvre "classiques" qui respirent une éternelle
fraîcheur.
De nos jours, même
l’expressionniste le plus endiablé n’oserait plus le mettre
en doute, le même qui par ailleurs clame à cor et à cri que
dans l’art, et particulièrement sur la scène, forum le plus
crédible de l’esprit du temps, est seulement légitime ce
qui se présente pour la première fois tant dans le contenu que
dans la forme, ce qui est neuf, original et non encore
expérimenté.
C’est l’âge qui donne sa
valeur au vin – mais sur la pipette, le verre ou la bouteille on peut
repérer la mode des styles, le style des modes.
Or dans notre monde industrialisé,
seul l’aveugle ne voit pas le rôle décisif que joue
aujourd’hui pour tout article commercial – et quel article ne
serait pas commercial aujourd’hui ? – l’emballage.
L’emballage, aujourd’hui, est
plus qu’une simple protection ou conservation de la marchandise :
parfois il est plus important que la marchandise elle-même, il est agent
de publicité, de concurrence, l’arme la plus puissante dans la bataille
des valeurs.
Même des valeurs physiques…
Alors là où c’est l’énergie
de l’imagination qui incarne la valeur et la popularité !
Ce que le producteur et l’entrepreneur sont capables de
générer dans les sentiments du public de consommateurs –
là où tout dépend de la foi et de l’imagination,
dans le monde des produits nutritifs psychiques !
Quel est l’emballage extérieur
d’une pièce de théâtre ?
Son
titre.
Un bon titre est capital pour une
pièce. Le titre n’est plus la désignation et le
résumé du contenu : il vit une vie autonome, il gère
un commerce indépendant.
"La
pièce n’a pas encore de titre", pouvons-nous parfois lire
dans les programmations des théâtres. Cela ne signifie nullement
que l’auteur se serait tellement épuisé dans son travail
qu’il n’aurait plus eu la force d’intituler son œuvre.
De longs débats et discussions se cachent entre quatre murs
derrière cette formule – directeur de théâtre,
dramaturge et auteur se tourmentent au moins autant pour un bon titre que pour
la distribution. Évidemment. À la bourse internationale des
pièces de théâtre il arrive souvent que, connaissant
l’ambiance, on achète plus facilement à l’aveugle un
bon titre qu’une bonne pièce sous un mauvais titre.
Je suis convaincu que même les
classiques de valeur éternelle pourraient être joués plus
longuement dans nos théâtres si les directeurs de salles osaient
s’avouer franchement qu’ils sont satisfaits des pièces,
qu’ils leur font toujours confiance, mais que les titres classiques se
sont usés.
Qu’advienne un esprit courageux qui
osera mettre au goût du jour la pratique et le droit qui
aujourd’hui encore paraissent une totale hérésie :
remettre à l’affiche de vieilles pièces sous des titres
nouveaux ! Mon Dieu, il fut un temps où on a pu mettre au goût
du jour les classiques en queue-de-pie !
Sous des titres modernes, dans des
emballages convenant non seulement au goût du public, mais aussi à
celui des théâtres !
Étant un homme de pratique et non de
théories (ça, toute ma vie en témoigne) j’ai
l’honneur de vous servir ad hoc quelques exemples.
Je prends au hasard cinq
théâtres de Budapest, symbolisant cinq goûts et cinq
tendances différents. J’émets l’hypothèse que
toutes les pièces pourraient être jouées dans
n’importe laquelle de ces salles, sous conditions d’adapter les
titres à la personnalité des théâtres.
Donc, les titres se présenteraient
ainsi selon les salles :
Titre original |
Au Théâtre de la Gaîté |
Au Théâtre Royal |
Scène du Boulevard Thérèse |
Au Théâtre pour enfants |
Au Théâtre Feld |
La tragédie de l’homme |
D’ère en ère |
En voyage, Adam ! |
L’infidèle Ève |
Ce coquin de Lucifer |
La droguerie de l’homme |
Hamlet |
Ophélie |
Le mari de ma mère |
Pourtant il mousse |
Le prince et la petite fille |
Samuel, prince danois |
Othello |
Mouchoir de dentelle |
Cœur de nègre |
Fais pas le jojo, Iago ! |
La fée aux yeux verts |
Maure, l’Othello de Venise |
Œdipe roi |
La mère |
Noces au subconscient |
La gloire de Sigismond |
Qu’est-ce qui rougeoie là-bas dans la plaine ? |
Bises, Edmond |
Macbeth |
Madame Macbeth |
La sorcière |
La voyante ? |
Le château de Duncan |
Betty Makk |
L’Aiglon |
Le duc |
Le Prince des rêves |
L’Empereur au gousset |
Petit pain impérial |
Adler et fils |
Nora |
Mari et femme |
L’incomprise ! |
Malvinette |
Maman part |
Nora de Nuremberg |
Les Bas-fonds |
Natacha |
Le baron miraculeux |
Monsieur Tout le monde à la buvette |
Il était une fois… |
Vase de nuit protecteur |
Médée |
La plus forte |
La toison d’or |
Chantons, Jason ! |
Charmant petit veau |
Médée, droits régaliens |
Lohengrin |
Le chevalier au cygne |
Pose pas de questions,
Elsa ! |
Le Graal, rien d’autre |
Pied de canard |
Lo Eingrin et les six poules |
Carmen |
Arènes |
Amours tsiganes |
Un tabac |
La fleur magique |
Tabac perdu |
Bánk bán |
La reine |
Il n’y a pas de perdant |
Quand le mari s’absente |
Les bons vieux temps |
Crise en banque |
Faust |
Le fiancé de Marguerite |
Potion magique |
Mieux que Voronoff |
Ne tente pas le diable ! |
Méphisto fait l’as |
Coriolan |
Jeu dans l’antiquité |
On n’est jamais si mal qu’à la maison |
Daisy Tailleur |
Savez-vous ce qu’est la patrie ? |
Yolande de Tours |
Le roi Lear |
L’héritage de Cordélia
de Cornouailles |
Le papa déraisonnable |
Cordélia muette et mange |
La princesse au grand cœur |
Le roi de Graisse |
Színházi
Élet, 1931. n°37.