Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
PETITS BILLETS
Amour-propre
Ma femme a sa fierté. On peut dire
d’elle ce qu’on veut, mais elle a sa fierté. Elle me dit par
exemple :
- Qu’en dites-vous, Feri, cette Böske, qui
l’aurait cru, n’a-t-elle pas piqué le copain de Manci, quelle honte !
Je lui réponds, un peu nerveux.
- Écoutez, Olga, ça
m’est égal ce que vous faites entre vous, c’est pas mes
oignons, vous savez que je ne verse pas dans la morale, mais
Alors ma femme me dit : bon
d’accord, vous en serez convaincu le jour où vous
l’entendrez dire par quelqu’un que vous croirez mieux que moi.
Le lendemain Manci me
dit : écoutez, je peux vous parler franchement, Olga m’a dit
qu’elle vous a déjà révélé la chose,
vous l’avez remise à sa place, n’est-ce pas odieux de la
part de Bôske ce qu’elle fait, pas
à cause de moi, ce garçon, je n’en ai jamais
été entichée, c’est lui qui me voulait, le pauvre
– mais j’ai de la peine pour Aladár.
Je lui réponds effrayé : que
dites-vous là, que moi j’en aurais parlé avec Olga, ou
j’aurais dit quelque chose à Olga, je ne sais même pas de
quoi il s’agit, vous êtes complètement folles.
Le surlendemain Aladár me dit,
étranglé de fureur : tu sais, Feri,
je te provoquerais bien en duel, mais je ne me salirai pas les mains avec une
vieille commère comme toi, qui n’hésite pas de raconter
à propos de la femme de son ami qu’il peut très bien
comprendre qu’elle trompe son mari.
Très en colère, je dis le
jour-même à Olga : merci bien, ma chère Olga, pour le
duel, car j’ai été obligé de provoquer Aladár
en duel, à cause du bruit que vous faites courir sur moi, que
j’aurais dit ceci ou cela.
Quel bruit, répond ma femme en haussant les
épaules, j’ai seulement répété ce que vous
avez vraiment dit.
Je réponds en cherchant ma respiration :
moi j’aurais dit que je peux comprendre à propos de Böske qu’elle trompe son mari ?
- Ce n’est pas ce que vous avez dit ?
– demande ma femme en haussant les sourcils.
Je hurle.
- Certainement pas, nom de Dieu ! J’ai
dit au contraire que je ne peux pas le croire.
- Ah bon, dit ma femme en se redressant, vous
vous imaginez peut-être que je retiens mot à mot ce que vous me
dites ? Je ne suis ni un geai ni un perroquet – chez moi c’est
l’essentiel qui compte !
Elle a de l’amour-propre.
Détective canin
Tel que vous l’entendez, ce n’est
pas un usage erroné des mots, ce n’est pas non plus un petit conte
amusant destiné à un journal pour enfants. Donc il ne
s’agit pas d’un chien détective comme la police pourrait en
utiliser, et ce n’est pas le chien d’une histoire dans le genre de
Ésope ou de La Fontaine, dans la société des animaux,
où compère Renard ou compère Loup ferait une enquête
sur des chiens. (Au demeurant même petit garçon je n’ai
jamais aimé ce copinage avec des animaux.)
Non. Sous "détective
canin" il convient d’entendre un nouveau métier dont je viens
seulement d’apprendre l’existence, à propos de mon chien.
En effet, mon chien s’est perdu.
Je me faisais du souci pour lui,
n’était-il pas tombé entre les mains
d’équarrisseurs, j’ai accepté de bon cœur le
conseil bienveillant de mettre une annonce dans Friss Újság, mon ami
était sûr du résultat, il avait fait de même dans un
cas semblable, et son chien avait été retrouvé.
J’ai écouté ce sage
conseil, j’ai publié une annonce expliquant que tel et tel chien a
disparu ici et là. Celui qui le retrouvera touchera une prime de tant et
tant.
Le surlendemain, c’est-à-dire
aujourd’hui, s’est présenté chez moi un homme grand,
au visage mystérieux, dans l’habit caractéristique des
classes populaires, ce qui servait peut-être seulement à
dissimuler sa profession. Peu après s’être
présenté il a effectivement abordé le sujet et dit
qu’il venait pour l’annonce. Il m’a demandé
d’importantes données
complémentaires au sujet du chien, son aspect extérieur, son
âge, son nom, s’il avait un signe distinctif.
Quand j’ai demandé des explications, il a
porté un regard alentour puis il s’est penché près
de mon oreille ; il m’a expliqué qu’il exerçait
la profession de détective canin.
Il faisait des enquêtes sur des chiens perdus, pour l’heure il ne
disposait que d’un bureau privé, mais de très beaux
succès antérieurs lui permettaient d’espérer obtenir
une subvention de l’État pour élargir son entreprise au
niveau national.
Je lui ai décrit de mon chien. Il a encore
demandé s’il pouvait vraiment toucher la prime gentiment promise
à titre d’honoraires, s’il retrouvait le chien. Sur ma
réponse positive il est aussitôt parti en disant qu’il ne
disposait d’aucun indice rassurant pour le moment, mais il fallait lui
faire confiance, il avait déjà résolu des cas plus
compliqués.
Et apparemment il ne se vantait pas sans fondement.
Une heure plus tard on a sonné à la
porte. C’était le détective canin. Il ramenait mon chien.
Il a assisté à l’explosion
d’allégresse et d’émerveillement avec une
bienveillance discrète, compréhensive. Il a repoussé
modestement les louanges. Il n’a pas été loquace non plus
sur nos interrogations étonnées : comment avait-il pu
réussir si vite, si efficacement ? Il a touché la prime, a
salué, puis est parti.
Dans mon premier enchantement j’étais
ravi d’avoir connu cette nouvelle activité dans la
société en progrès, le détective canin.
Depuis j’ai réfléchi quelques
minutes sur cette affaire, j’ai aussi parlé avec des amis ayant
reçu la visite du même personnage dans des cas similaires, avec le
même résultat brillant.
Et maintenant, la tête froide, je suis
d’avis qu’il est inutile de créer un terme nouveau pour
désigner la nouvelle profession.
Sur la base de mon propre soupçon comme celui
de mes amis, je proposerais de garder l’ancienne terminologie.
Il n’est peut-être pas un détective
canin.
Pas même un chien détective.
Mais simplement un voleur de chiens.
Cela a toujours existé. Il est tout au plus
l’inventeur d’une nouvelle méthode.
Pesti Napló, le 11 juin 1931.