Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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HUMEUR ALLEMANDE

J’ai lu cela dans un illustré Italien, avec photo.

Ce tout nouveau café berlinois du nom de Sing-Sing.

On dit qu’il est très couru.

Les garçons qui servent dans ce café portent des pyjamas de détenus. Le garçon principal fait tinter un énorme trousseau de clés comme un gardien authentique ; la boisson est distribuée dans des écuelles, les écuelles sont attachées à la table avec des chaînes.

Chaque client est fouillé avant de prendre place à la table de la prison.

Quelle idée charmante !

Je rougis de ne pas y avoir pensé moi-même. Pourtant, si je m’étais laissé aller à mon imagination, avec mon orientation germanisante, la logique m’y aurait sûrement conduit. Il y a de nombreuses années, quand j’étais à Berlin  j’ai vu le restaurant Grobe Michel (j’ignore s’il existe encore) ; il était connu pour son aubergiste malotru et lourdaud, incroyablement brutal avec les clients, il les tutoyait, les rudoyait, il leur balançait les assiettes en criant : « tiens, bouffe, canaille ! ».

Le public berlinois élégant, select, en raffolait de plaisir.

L’illustré italien dans son article sur ce nouveau café prison se demande comme cela est possible.

Ils manquent d’humour vrai, ces Italiens.

Ils ne savent pas apprécier le peuple du "Schlaraffenland", le Pays de Cocagne, la bonne rigolade allemande.

Moi, elle me plaît beaucoup.

Mais désormais je tâcherai d’être plus prévoyant afin d’éviter de me laisser surprendre.

 

J’énumère en vitesse, à l’ouverture de quels "établissements de caractère" il faudra nous attendre dans un proche avenir.

Tout d’abord un café hôpital – avec des pinces, des compresses, des feuilles de température. Il va de soi que le client, plutôt que lui offrir une chaise, on l’allonge tout de suite dans un lit, on lui fourre un thermomètre, on lui fait avaler de l’huile de ricin. Le garçon encaisse la note au bloc opératoire – pendant que le personnel attache le malade, le garçon chirurgien fouille les poches, après une anesthésie locale.

Viendra ensuite le café cimetière où on couche le client dans un cercueil, on l’inhume et on rend hommage à sa mémoire. La différence par rapport à un vrai enterrement sera simplement que c’est le client qui mange les vers et non l’inverse.

Encore que l’ouverture d’un café échafaud où on décapite tous les clients serait peut-être plus intéressante et plus radicale.

Cela au moins mettrait fin une fois pour toutes à ceux qui sont prêts à tout avaler.

Puis ce dernier établissement pourra fermer ses portes.

 

Pesti Napló, le 2 juillet 1931.

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