Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

afficher le texte en hongrois

paradoxe des vacances[1]

 

I.

32b-paradoxe des vacances llles vont commencer bientôt.

Préparons-nous-y mentalement aussi. Ou disons autrement : moralement. Philosophiquement. Dans les principes.

Il y a une chose que nous devons voir très clairement, et le reste ne sera plus qu’un jeu d’enfant.

La cause des vacances n’est pas celle que croyaient nos parents naïfs, ces chers grands enfants. Qu’en hiver il fait froid, en été il fait chaud, que par conséquent en hiver nous devons nous terrer dans la chambre, en été échappons-nous dans la nature, sous les arbres, sur l’eau, où il fait tout de même plus frais.

Balivernes.

Si cela était le cas, on pourrait aisément régler toute cette problématique grâce aux techniques modernes ! Des appareillages pourraient rafraîchir toutes les maisons, toutes les pièces, éventuellement même la rue, aussi bien qu’on peut les chauffer en hiver !

C’est ridicule !

C’est comme si quelqu’un, depuis qu’on a inventé le chauffage, avait proposé qu’en hiver les gens devraient aller à l’équateur ou au pied des volcans, pour passer la mauvaise saison.

On aurait bonne mine !

À mon avis l’été n’a rien à voir avec les vacances.

Étant donné que ce n’est pas l’été qui est la cause des vacances, mais c’est quelque chose de très différent (je vais vous le prouver), le but des vacances ne peut sûrement pas être de nous cacher des rayons du soleil, comme effectivement nous ne nous en cachons pas mais au contraire nous nous y exposons, prêts à supporter, sous prétexte de cure de soleil, des températures telles que nous ne tolérerions certainement d’aucun poêle, même quand il fait moins trente en hiver.

Ce qui importe dans les vacances c’est de partir.

Partir de là où on est. Peu importe où, mais pas rester là où on est.

On dit que Budapest est une ville thermale. Cela signifie qu’une personne normale quitte Berlin, Paris ou même New York, pour passer ses vacances à Budapest. Même de Palm Beach, si ça se trouve. Un Budapestois en revanche passe ses vacances à Berlin ou à Paris, persuadé qu’il s’est organisé un splendide programme.

Le principal est de partir.

L’instinct nomade ancestral. Une survivance de l’ère héliotropique, cette inquiétude salutaire, fertile et conquérante. Source et base de tous les effets historiques.

Tohu-bohu, remue-ménage, branle-bas, désordre.

Le ciel tombe et la terre tremble, cours toi aussi, camarade. C’est l’essence des vacances.

Un gigantesque et universel jeu "il court, le furet" – chacun quitte sa tanière et fait le fou pendant un temps.

On quitte un peu sa peau. C’est comme la mue annuelle des reptiles, nos nobles ancêtres – probablement une survivance de l’aspiration de rejeter son ancienne pelisse et renaître. Rejeter le derme de la civilisation incrustée en nous : logement, bureau, environnement. La famille aussi, si possible.

C’est tout, sauf du repos. C’est plutôt le contraire.

L’été est la grande chance – l’unique, la dernière chance – c’est ainsi que vous devez vous y préparer.

 

II.

Je viens de développer la métaphysique des vacances.

Je vais passer maintenant à la sagesse de la vie pratique.

Celui qui part en vacances, doit se métamorphoser.

Il ne devra même pas se rappeler celui qu’il a été en hiver. Laissons s’épanouir la dualité qui vit en chacun de nous : notre deuxième ego.

Il faut éviter tout ce qui rappelle l’homme de l’hiver. Celui qui emporte des habitudes dans l’aventure, n’est pas un artiste, mais un indigne dilettante des vacances.

Évidemment il existe des coutumes apparemment contraignantes, mais on peut les gérer avec de petites ruses.

Comme la correspondance. Le grand Memento.

Je ne dis pas qu’il faut cesser de s’en occuper. Mais elle ne doit pas être une préoccupation.

Une femme intelligente, un homme intelligent, capables d’assimiler les sages conseils, se mettra sur le champ à écrire, dès maintenant, dans l’ordre, toute sa correspondance estivale.

Chaque semaine, à l’avance, antidatée.

On prépare les quelques lignes à « ma chère petite maman » et à « mon adoré petit mari », dans lesquels on fait savoir au destinataire qu’on se sent à merveille et « sois sage, mon chéri, mille baisers » - ensuite on pourra poster mécaniquement ces lettres, sous réserve de bien veiller aux dates.

Si d’aventure ton sort te contraint à un célibat d’été, ne pense pas vivre comme si tu étais resté chez toi, pour la simple raison que tu es resté chez toi.

Tu dois cesser de donner libre cours à tes habitudes. Tu constateras avec joie que ton environnement se renouvelle. Un miracle se produit, comparable à la renaissance de la nature au printemps. Tes vieux meubles gagnent un nouveau sens et une nouvelle importance – ton lit se bombe, ta table pousse des fleurs, des fruits mûrs tombent de ton portemanteau.

Il suffit de s’y connaître.

Il suffit de ne pas regarder les choses avec ses yeux de l’hiver. Un restaurant d’été n’est pas une institution d’alimentation. Ce n’est pas ce qu’on te donne à manger qui compte – observe plutôt les personnes qui le fréquentent, tous ces nouveaux visages intéressants.

Fréquente ce lieu parce qu’il te faut savoir qui est cette personne au chapeau rouge qui hier a éclaté de rire puis a tourné la tête, mais tu es sûr qu’aujourd’hui elle sera encore là en face de toi, sous la treille.

Serait-elle cette Ève cherchée depuis longtemps, l’enchanteresse de cette pergola ?

Et fais tout ce que tu n’as pas fait avant. Essaye, cela t’a peut-être manqué.

En hiver tu n’as pas dansé au bal où tu es allé ? Va maintenant et danse à la piscine où ton médecin t’a recommandé d’aller pour nager et bronzer. Tu n’allais pas au théâtre, même sur invitation ? Maintenant, que les théâtres sont fermés, deviens comédien toi-même – joue le rôle de l’homme heureux que Dieu lui-même avait écrit pour toi – et que toi, ingrat, tu avais rendu parce que tu craignais ne pas avoir de succès !

Et si non ?

Une pièce d’été.

Prends garde – c’est ta chance maintenant, cet été !

Peut-être ta dernière chance…

 

Pesti Napló, 15 juin 1932.

Article suivant paru dans Pesti Napló



[1] Texte très proche de Conseils de vacance, chronique parue en 1931 dans Színházi Élet.