Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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École allemande

Pour enfants et adultes

Mon fils cadet fréquente la Reichsdeutsche Schule de la rue Damjanich, où l’année scolaire vient de se clore dans le cadre d’une excursion associée à une fête sportive, d’où il est rentré glorieusement, en agitant un diplôme richement décoré. Le diplôme, établi par l’école, certifie et atteste avec fierté que l’élève a été vainqueur aux épreuves de courses, de saut et de lancer de ballon, « Sieger im Dreikampf », vainqueur en triathlon. Mon fils Cini se prend après ça pour un oisillon Nurmi, pourrait-il le devenir effectivement ? Que Dieu l’en garde, le pauvre. Je veux exprimer par-là ma vieille conviction et mon expérience qu’en pédagogie une louange et une reconnaissance, même sciemment exagérées, appliquées à un moment favorable, peuvent être plus utiles et plus productives que mille blâmes, et réprimandes, et remontrances.

Rien de cela ne manque à l’école allemande de Pest. Les parents reçoivent relativement souvent des avis, vantant les capacités et la diligence, voire le caractère personnel de l’enfant, soulignant chaque fois les signes bons et encourageants au détriment des traits négatifs. On a le sentiment que cette école se réjouit de ses élèves, elle les aime, elle est, pour chacun d’eux séparément, au moins aussi ambitieuse que les parents, avec la différence que l’affection de l’école est toujours encourageante, alors que l’amour des parents amollit souvent l’enfant.

Au demeurant c’est une excellente école sur tous les plans, les enfants apprennent bien, sans légèreté ni snobisme, ils ne manquent pas non plus de jeux, de compétitions, de concours pratiques. Cet établissement respire l’esprit humaniste allemand universel au meilleur sens du terme, l’esprit des vertus allemandes anciennes, sans les défauts allemands nouveaux. On y enseigne aussi le hongrois, et je n’ai jamais décelé un retard quelconque en matière de culture hongroise par rapport aux cadres de l’enseignement officiel de la langue.

 

Je n’ai pas du tout l’intention de faire de la publicité : allons les amis, inscrivons nos rejetons à l’école allemande. Ce que je veux dire c’est plutôt que ça ne peut nuire à aucune école de non seulement enseigner mais apprendre aussi ce qu’il vaut la peine d’apprendre les uns des autres, cela concerne toutes les écoles du monde, y compris l’école hongroise.

Nous pouvons vaillamment apprendre une pédagogie intelligente des Allemands. Ainsi que bien d’autres choses : l’endurance, le sérieux, le respect recueilli des sciences d’avant-garde, l’objectivité dans le jugement des choses.

Beaucoup de choses.

L’exploitation minière, la sidérurgie, l’industrie mécanique, la fabrication des films, la production du houblon, l’affinage du verre, la fabrication des instruments d’optique, le planétarium, la pneumologie, le broyage du papier, la reliure des livres, la photographie, l’équipement radio, l’élaboration du caoutchouc, la navigation aérienne, les sciences auxiliaires de la linguistique, la numismatique, la philatélie, la fission de l’atome.

Que de choses dans cette liste ! Il est étonnant que, dans cette longue liste que nous pourrions apprendre des Allemands, Monsieur le député Meskó[1] n’est pas parvenu à se choisir quelque chose d’intéressant, par exemple la pneumologie – non, il a cru bon de choisir, lui, la nouvelle industrie allemande des barbiers, branche dans laquelle de nos jours les Allemands sont bien plus mauvais que nous. Alors vous pouvez tous allez voir sa moustache, elle est à la fois rasée et non rasée, elle a l’air de deux taches de sparadrap anglais mal collés, une vue pitoyable, un brave barbier hongrois baisse les yeux si on lui en montre une comme ça.

Si dans un journal ou une revue scientifique je vois un titre affirmant par exemple que quelqu’un a découvert le traitement du cancer par un voyage dans la stratosphère – en homme enthousiaste et curieux que je suis, je lirai sûrement l’article. En revanche si le titre prétend que quelqu’un a découvert le traitement du cancer par incantations, je tournerai la page. Non parce que je croirais vraisemblable que le cancer guérisse dans la stratosphère, mais simplement parce que je trouverais l’idée inouïe, et considérant que l’on n’a pas encore découvert la lutte efficace et sûre contre cette maladie, ce moyen sera peut-être un procédé que l’on expérimentera dans l’avenir. Un traitement stratosphérique paraît à première vue une ânerie invraisemblable, néanmoins il a l’avantage de n’avoir jamais encore été tenté. Autrement dit, on a une chance sur mille qu’il soit la bonne parmi toutes les méthodes qui attendent encore leur tour. Par contre, le traitement du cancer par incantation a déjà été essayé il y a très longtemps, il y a des milliers d’années, et le résultat de cette voie a été nul, c’est bien prouvé par la tumeur qui prolifère avec toujours le même foisonnement.

Je ne tournerai donc pas la page par ennui ou une antipathie innée envers les incantations, ou par une inclination qui caractériserait mon psychisme, comme essayent de me le faire croire les apôtres politiques de la psychologie synthétique – mais simplement parce qu’un tel titre ment quand il parle de découverte.

Si un politicien rédempteur du monde et de la nation propose une constitution dont les lois stipulent de badigeonner de confiture de quetsches une personne sur neuf tous les lundis matin, et que les ajusteurs-monteurs ne peuvent se procurer le droit de vote autrement que contre de la poudre à éternuer, alors ce programme de parti, je le lirai avec attention et j’y réfléchirai, car cette constitution-là n’a jamais encore été expérimentée, et ce politicien a peut-être découvert les tenants et aboutissants cachés entre le bonheur de la patrie et de l’humanité, la poudre à éternuer, la confiture de quetsches et les ajusteurs-monteurs.

Par contre je ne lirai pas le programme détaillé d’Hitler et sa dernière version hongroise, parce que je vois dès les intitulés des articles qu’il préconise de traiter la maladie des pays et des sociétés par l’armement des nations les unes contre les autres, la restriction des droits des citoyens, la légalisation des distinctions raciales, la mise en œuvre de systèmes de castes, en terrorisant et en menaçant les sujets ressortissants aux lois de cette constitution. Et ces choses-là, séparément et prises dans leur ensemble, je ne les rejette pas parce que je hais par principe toute violence (cela n’est même pas vrai en général), mais parce que tout simplement elles ne m’intéressent pas, car ces choses-là ont déjà été expérimentées d’innombrables fois à travers les millénaires, et elles n’ont jamais rien guéri du tout, et elles n’ont jamais fait avancer par personne l’utopie de l’ordre, de la joie et du bonheur, elles n’ont fait qu’ajouter de plus grands malheurs, plus de troubles et de plus graves maladies par-dessus la maladie originelle.

 

Maintenant, en ce qui concerne cet insigne, le svastika… Lisez donc l’article "réactionnaire" de Chesterton de cette semaine, dans lequel il s’étonne très brutalement (il met noir sur blanc même le mot "devil" tout catholique pratiquant qu’il soit) : pourquoi la défense raciale allemande choisit-elle pour emblème justement la roue de Bouddha ?

Est-ce que nous, Hongrois, avons quelque chose à voir avec Bouddha… ?

Laissons cela. C’est ennuyeux.

Ce n’est pas cela qu’il faut apprendre des Allemands.

 

Pesti Napló, 19 juin 1932.

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[1] Zoltán Meskó (1883-1959), fondateur du premier parti nazi hongrois des croix fléchées.