Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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ligue du silence

Cest avec une grande joie que j’ai appris la création de la ligue du silence chez nous aussi, sur un modèle étranger : des personnes éminentes, des neurologues, des spécialistes de santé publique, des responsables d’institutions humanitaires se sont mis ensemble pour chercher les moyens qui permettraient de réduire au niveau sonore idyllique d’une solitude forestière le bruit énervant de notre vie métropolitaine, le boucan de la rue, le vrombissement des véhicules, tout ce qui nuit au calme des citadins. Une première séance préparatoire de la ligue s’est tenue ces derniers jours, qu’il me soit permis de vous faire part du compte rendu sténographique de cet événement, je l’ai obtenu de mon correspondant. Ne lui faites pas trop confiance.)

 

Le président : Je déclare la séance ouverte. Le Dr. Sourdino, président du conseil de santé publique, a demandé la parole…

Le Dr. Sourdino : Messieurs…

Edmond Flûte, secrétaire de l’organisation Internationale des barytons chuchotant : Très respectée Assemblée Générale…

Le Dr. Sourdino, étonné : Qu’est-ce qui se passe, c’est moi qui ai la parole !

Edmond Flûte : C’est moi qui l’ai demandée le premier, que je sache !

Le Dr. Sourdino : Je vous prie de m’excuser, c’est à moi que le président a donné la parole…,

Edmond Flûte : Je n’ai rien entendu de tel.

Le Dr. Sourdino : Ce n’est pas de ma faute si vous êtes sourd.

Le président agite sa sonnette : Je prie Monsieur Flûte d’attendre patiemment. La parole est au Docteur Sourdino

Edmond Flûte : Ah bon, maintenant je vous entends, pourquoi n’avez-vous pas sonné tout de suite… J’ai une proposition importante à faire au nom du groupe d’opposition de la ligue, une proposition qui exige des moyens radicaux…

Le Dr. Sourdino, furieux : Nous connaissons cette proposition… Ils veulent obtenir par la violence des résultats auprès du ministre de l’intérieur… Or la plupart des membres de la commission sont pour une politique de réformes à petits pas dans la question des motocyclettes. Ils risquent de tout gâcher avec leur arrogance irresponsable…

L’opposition tape sur les tables : Rappel à l’ordre ! Rappel à l’ordre ! Il nous insulte ! Saloperie !

Le président agite sa sonnette avec véhémence : Messieurs… Écoutez l’intervenant.

Des membres de la commission tapent sur les tables : Assez ! Assez ! Qu’on lui retire la parole !

Le président dit quelque chose mais sa voix et sa sonnette se perdent dans le brouhaha.

La commission manifeste en se mettant debout et en chantant la marche officielle de la ligue :

            « Agitez votre sonnette mais pas trop fort

            Pas au point de me tordre le corps. »

L’opposition se met debout, hurle en chœur la berceuse de l’opposition, surpassant le parti majoritaire :

            « Fillette, fillette, t’attend ton petit lit,

            Le clair de lune est monté au zénith. »

 

Le peuple de la rue se rassemble. Alarme. La police arrive ainsi que les sapeurs-pompiers. Ils arrêtent tout le rassemblement pour tapage. Au croisement un marteau-piqueur abandonné pleure doucement dans sa solitude.

 

Az Est, 28 août 1932.

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