Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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yo-yo

Alors là, quelle ânerie !

Je n’aurais vraiment pas cru qu’un tel objet puisse rendre fou à Pest pour la seule raison que Paris et Berlin en sont fous.

Mais écoutez, c’est ridicule, nous ne sommes quand même pas des singes – les mots croisés, le bridge, et même les sucettes ou le diabolo de mon enfance – c’était autre chose, c’était amusant et sympathique – mais celui-ci ?

Qu’est-ce que c’est que cette ânerie de l’antéchrist ?

Un disque creusé avec une ficelle enroulée dans la gorge – la personne, ou plutôt le singe qui le prend en main uniquement parce qu’il a lu et entendu parler de cette mode – donc l’homme singe le prend dans sa main, il le laisse descendre au bout de la ficelle, et une fois arrivé en bas, il le tire d’un coup sec et le disque s’enroule dans l’autre sens, mais il ne s’enroule pas si le coup n’était pas assez sec – supposons que votre coup ait été sec comme il fallait et cela s’enroule, ça vous avance à quoi ? Vous pouvez le faire redescendre et tout recommencer depuis le début !

Est-ce drôle ? Où est le sport là-dedans ? Où est le jeu ? Où est l’habileté ? Où est l’esprit ?

Certaines personnes habiles de leurs mains savent faire ricocher un galet sur l’eau comme une grenouille, cela, c’est sûr, nécessite un savoir-faire. Ou faire tourner une pièce de monnaie de façon qu’elle rebondisse. Il existe même une arme, le boomerang, qui revient entre les mains du chasseur qui l’a lancé – mais ce yo-yo ?

Je n’ai encore rencontré personne qui n’aurait pas été en colère avec et à cause de son yo-yo. Tout le monde partage mon avis. Écoutez, depuis longtemps la mode n’a pas inventé une aussi énorme ânerie, c’est ce que j’entends dire partout. Je ne comprends pas comment elle a pu se répandre, mais vraiment, les hommes sont des singes, même dans notre Budapest si orgueilleuse et cynique. Tout le monde y joue, qu’il le veuille ou non. À l’école on ne peut plus faire la classe, les enfants jouent au yo-yo sous la table, c’est son propre yo-yo que l’instituteur finit par leur lancer à la tête, dans sa colère. Certains pensent que si Károlyi[1] a démissionné, c’est parce qu’il n’avait pas assez de temps pour jouer au yo-yo, et si Bethlen a refusé le poste, c’est parce que sa ficelle ne s’est pas bien enroulée dans le rail.

C’est de la folie ! Qu’en pensez-vous ?

Mais on dirait que vous ne m’écoutez pas – que faites-vous sous la table pendant que je prêche ?

Que vous êtes maladroit !

Apprenez au moins comment le faire bien, regardez-moi ! Au diable ! – la ficelle s’est encore emmêlée ! C’est le quatrième cette semaine – je vous jure que je n’en achèterai pas d’autre – s’il vous plaît, prêtez-moi le vôtre pour une minute !

 

Az Est, 18 septembre 1932.

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[1] Gyula Károlyi (1871-1947). Premier ministre d’août 1931 à octobre 1932. István Bethlen (1874-1946). Premier ministre de 1921 à 1931.