Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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j’embauche

65-J'embauche les paroles d’exhortation du gouvernement pour adoucir la misère des chômeurs ne sont pas tombées chez moi sur un cœur froid et insensible, quand il a invité les employeurs à augmenter le nombre de leurs employés.

Ma conscience s’est réveillée et je me suis assis cinq minutes pour réfléchir, rentrer en moi, faire un bilan avec ma conscience.

C’est vrai, pourquoi le nier, j’ai un peu négligé cette affaire en tant qu’employeur, ces derniers temps.

Bon, alors Juci, elle, c’est d’accord, elle trouve un emploi chez moi, même si ce n’est pas par moi directement, mais bien en qualité d’employée, du travail à la pelle, même ce matin elle m’a fait une scène : monsieur aurait pu porter son pantalon au nettoyage lui-même, elle avait toute la lessive à faire…

Mais c’est seulement Juci, j’ai beau chercher, je n’en connais pas d’autre… Je ne peux même pas prétendre ne pas avoir besoin d’autre main-d’œuvre… tiens, bien sûr que si, et comment !

Je pourrais par exemple employer un ingénieur, une cinquantaine d’ouvriers, un contremaître, un tapissier, un poseur de parquets, pour qu’ils bâtissent mon modeste château en Espagne – j’attends la candidature de spécialistes en palais des fées – quelque part dans la stratosphère où je pourrai travailler tranquillement, sans être dérangé, à mes chefs-d’œuvre.

Pour y parvenir, j’aurai besoin de quelques préfixeurs de verbes expérimentés, qui ensuite mettront les points sur les i, car ces derniers temps j’ai dû faire tout cela moi-même. Quelques enchaîneurs d’idées me seraient également très utiles, ainsi que quelques ouvriers fileurs de coton qui m’aideraient à dérouler l’action que j’aurai inventée, et après qu’ils auront trouvé le fil de l’intrigue, attacheraient les nœuds du drame.

Je pourrais embaucher immédiatement quelques forgerons pour mes projets : les mêmes pourraient aussi forger ma chance, car chez moi le proverbe qui dit que chacun est le forgeron de sa chance ne marche pas.

Des nourrices peuvent venir en masse pour allaiter mes espérances. En matière de cuisine j’ai ce qu’il me faut, tout le monde le sait.

J’ai en outre besoin d’un ramoneur pour mes entreprises parties en fumée et de quelques boulangers pour me sortir du pétrin, et de serruriers pour trouver la clé de la situation, ainsi que d’un bon confiseur pour ne pas tomber en déconfiture.

Encore d’un palefrenier pour monter sur mes grands chevaux.

Pour embaucher toutes ces personnes je lance par la présente un appel aux candidatures : peut trouver emploi chez moi un ministre des finances de confiance, expérimenté, bonnes références exigées, entouré de quelques femmes de ménage, pour épousseter mon budget.

 

Az Est, 30 octobre 1932.

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