Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
j’embauche
es paroles d’exhortation du gouvernement pour adoucir
la misère des chômeurs ne sont pas tombées chez moi sur un
cœur froid et insensible, quand il a invité les employeurs à
augmenter le nombre de leurs employés.
Ma conscience s’est
réveillée et je me suis assis cinq minutes pour
réfléchir, rentrer en moi, faire un
bilan avec ma conscience.
C’est vrai, pourquoi le nier,
j’ai un peu négligé cette affaire en tant
qu’employeur, ces derniers temps.
Bon, alors Juci,
elle, c’est d’accord, elle trouve un emploi chez moi, même si
ce n’est pas par moi directement, mais bien en qualité
d’employée, du travail à la pelle, même ce matin elle
m’a fait une scène : monsieur aurait pu porter son pantalon au
nettoyage lui-même, elle avait toute la lessive à faire…
Mais c’est seulement Juci, j’ai beau chercher, je n’en connais pas
d’autre… Je ne peux même pas prétendre ne pas avoir
besoin d’autre main-d’œuvre… tiens, bien sûr que
si, et comment !
Je pourrais par exemple employer un
ingénieur, une cinquantaine d’ouvriers, un contremaître, un
tapissier, un poseur de parquets, pour qu’ils bâtissent mon modeste
château en Espagne – j’attends la candidature de spécialistes
en palais des fées – quelque part dans la stratosphère
où je pourrai travailler tranquillement, sans être
dérangé, à mes chefs-d’œuvre.
Pour y parvenir, j’aurai besoin de
quelques préfixeurs de verbes expérimentés,
qui ensuite mettront les points sur les i, car ces derniers temps j’ai
dû faire tout cela moi-même. Quelques enchaîneurs d’idées me seraient
également très utiles, ainsi que quelques ouvriers fileurs de coton qui m’aideraient
à dérouler l’action que j’aurai inventée, et
après qu’ils auront trouvé le fil de l’intrigue, attacheraient les nœuds du drame.
Je pourrais embaucher immédiatement
quelques forgerons pour mes projets :
les mêmes pourraient aussi forger ma chance, car chez moi le proverbe qui
dit que chacun est le forgeron de sa chance ne marche pas.
Des nourrices peuvent venir en masse pour allaiter mes espérances. En
matière de cuisine j’ai ce qu’il me faut, tout le monde le
sait.
J’ai en outre besoin d’un
ramoneur pour mes entreprises parties en
fumée et de quelques boulangers pour me sortir du pétrin, et
de serruriers pour trouver la clé de la situation, ainsi que d’un
bon confiseur pour ne pas tomber en déconfiture.
Encore d’un palefrenier pour monter sur mes grands chevaux.
Pour embaucher toutes ces personnes je
lance par la présente un appel aux candidatures : peut trouver emploi
chez moi un ministre des finances de confiance, expérimenté,
bonnes références exigées, entouré de quelques
femmes de ménage, pour épousseter mon budget.
Az Est, 30 octobre 1932.