Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
"LES hydrophileS"
Chasseurs en piscine
imanche après-midi à
la Piscine Olympique brillant de toutes ses lumières. Un public
nombreux, une atmosphère des grands jours. Les "nautiques" des
scouts, section de Budapest, les "Hydrophiles", se présentent,
c’est ce que clame une charmante brochure imprimée pour
l’occasion, et l’on sourit involontairement de cette
dénomination bien trouvée qui rappelle ce petit insecte heureux,
noir, agile, musclé des beaux lacs hongrois, qui zigzague, les pattes
presque sèches, sur le tapis d’eau luisant : quelle
métaphore heureuse de choisir ce nom pour ces jeunes et joyeux
gaillards !
Le "spectacle nautique"
récolte un plein succès. Il est vrai qu’il eut
été difficile de rater la fête dans cette atmosphère
quasiment familiale d’affection, d’encouragement joyeux et de
tendre attention où un mouvement déréglé par trop
de zèle est tout autant applaudi et célébré
qu’une production parfaitement réussie. Bien sûr celles-ci
sont largement majoritaires, les gars travaillent à merveille, ils sont
aussi à l’aise dans l’eau que sous l’eau.
La course de relais fait découvrir
quelques vrais talents, la bonne équipe se fait battre haut la main par
la meilleure équipe, le travail assidu récolte la gloire. Les
scouts de l’équipe "Irinyi"
parcourent la surface de l’eau sur des planches de leur propre
fabrication, ils improvisent des duels amusants parmi les rires. Vient ensuite
un véritable cabaret nautique : quatre scouts, des bougies
allumées à la main, quatre parapluies déployés, le
concours des équipes de quatre. On en arrive ensuite au point fort du
programme : les virevoltes en kayak. On repense forcément aux
acrobaties des esquimaux à la surface et sous la surface de l’eau,
telles que nous les avons admirées au cinéma – la preuve
qu’on peut tout, il suffit de vouloir : à mon avis il
n’est pas impossible que les scouts créent la mode et que
l’année prochaine les kayakistes se présentent en uniforme
d’esquimaux. Toutefois ils devront bien accrocher leur slip de bain pour
égaler la production du chef scout György Osváth,
le clou de la soirée, la fameuse pirouette
esquimaude : tourner comme une toupie ensorcelée avec le kayak,
sur l’eau et sous l’eau – le même spectacle est
appelé galipette du pilote, dans l’aviation.
Nous avons aussi aimé le Push-Ball,
un ballon géant, cadeau de Rothermere[1], ainsi que l’excellent orchestre.
Un bon travail, remarquable, un travail
plein de charme, vive les Scouts, pilotes d’une nouvelle transhumance
paisible des peuples, soldats d’une époque ancestrale romantique, Normands et les Visigoths, nouveaux
envahisseurs des eaux, les Hydrophiles.
Pesti
Napló, 25 octobre 1932.