Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
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NUMÉRO…
Le temps de trouver la solution
Mon cher collègue Grätzer,
en tant que rédacteur patenté des jeux et énigmes de Színházi Élet,
considérez ma plainte et mes aveux ci-dessous, auxquels j’aurais
pu donner le titre : Moi et la confection des énigmes, comme
étant adressés à vous.
Depuis tout petit j’ai toujours
été un adepte exalté de la littérature des
énigmes. Je pensais avec admiration à ces hommes merveilleux qui
confectionnent ces énigmes, et j’étais passablement fier
que mon nom puisse figurer parmi les leurs.
Ces dernières années, depuis
que les journaux les plus populaires du monde organisent à tout bout de
champ de grandes compétitions de devinettes, des derbys de jeux, et en
Amérique par exemple un concours de mots croisés a même
été primé de cinquante mille dollars, de nouveaux
critères ont aussi commencé à titiller mon imagination. Le
temps des anciens prix pour gagner des livres ou des vinaigres de toilette est
révolu ; aujourd’hui on distribue des voitures, des maisons
familiales, de jolies propriétés, des rentes à vie ou des
canons de quarante-deux aux heureux gagnants. Un homme prévoyant pour
qui son avenir et celui de sa famille ne sont pas indifférents, doit
plancher sérieusement et scientifiquement sur cette science, qui pour
les plus chanceux fait miroiter une occasion pour construire une existence
sûre, sachant que les autres voies sont encore plus incertaines.
J’ai décidé de
m’atteler moi-même au travail.
Je me suis mis à étudier les
cahiers d’énigmes et les énigmes en cahier dans la presse
locale et internationale.
J’ai essayé de trouver un
principe unique sur la base duquel je prendrai en main la clé
générale tant de la rédaction que de la solution des
énigmes. Je suis arrivé à un point où j’ai
acquis l’impression de me mouvoir familièrement dans ce labyrinthe
où mot signifie image et image
signifie mot.
Je résolvais les problèmes
les plus difficiles comme en jouant, d’un simple coup d’œil,
faisant baver les lourdauds qui nous demandent dans leur
désespoir : « dis, qu’est-ce que c’est qui se
trouve au milieu de la pièce, on mange dessus, en cinq lettres, se
terminant par able ? »
Je suis arrivé à un point
où une figure ne devait même pas être une énigme pour
que je la résolve. Un auteur de devinettes m’a raconté un
jour en riant qu’à court de matière, à la
clôture de son journal il avait simplement rendu un dessin ordinaire
à sa rédaction, dessin découpé dans un journal
étranger, qui ne représentait rien d’autre qu’un
jardin. Il espérait inventer quelque chose après coup en guise de
solution. Mais il lui fut totalement inutile de se casser la tête :
parmi les milliers de réponses envoyées il y en eut une bonne
trentaine qui a découvert que dans ce jardin il
y avait une fontaine demi-cachée, ils ont envoyé la
réponse : "Jean de La Fontaine". C’est alors que
j’ai eu l’idée qu’il n’est pas nécessaire
de construire les énigmes – n’importe quel objet, dessin ou
illustration du monde devient mystérieux et intrigant si je ne le
regarde pas pour ce qu’il est, mais j’y présuppose des
tenants et aboutissants secrets. (Au demeurant, le phénomène le
plus simple et le plus transparent du monde, la femme aussi fut rendue
mystérieuse par la philosophie sur cette même base, or la solution
est des plus simple : quatre lettres horizontalement et quatre lettres
verticalement construisent la croix que l’homme doit porter.)
Je suis persuadé que je saurais
monter un excellent journal de devinettes, en publiant simplement les figures
de n’importe quel livre de sciences naturelles – je recevrais des
solutions pour chacune. La rubrique jeux
et devinettes de "Színházi Élet" a
déjà prouvé une fois que les vingt-six lettres de
l’alphabet sont autant d’excellentes devinettes si je les propose
en tant que telles.
Bon, je l’ai dit, et j’ai pris
en main un illustré étranger.
[…][1]
Sur la première image on voyait une
naine chiromancienne.
Vous demandez ce que c’est comme
devinette ?
C’est très simple :
c’est une devinette.
Poursuivez vous-même !
Színházi Élet,
1932, n°5.
[1] Suivent des propositions de jeux de mots intraduisibles. La suite est ici une illustration des traducteurs.