Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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Petits papiers

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Comparaisons à double tranchant

Il faut y penser.

Pour le poète c’est facile.

Le poète énonce une comparaison, puis il pense que l’affaire est réglée. Il dit à la jeune fille : tu es comme une fleur. Cela fait deux mille ans que le poète dit cela à la jeune fille et deux mille ans que la jeune fille en est pleine de gratitude, elle est charmée de la comparaison, parce qu’elle la prend telle que le poète l’avait pensée : c’est-à-dire que la jeune fille est parfumée, fraîche, pleine de rosée et innocente, comme une fleur.

Étant donné qu’ils sont tous les deux de bonne foi, aucun des deux ne s’aperçoit que ces comparaisons de bonne foi sont fondamentalement des cadeaux à double, voire à de multiples tranchants. Si les objets et les plantes et les animaux ne se prêtaient au symbole que d’une seule qualité, la chose irait d’elle-même, y compris pour un prosateur. Mais dans le miroir objectif de la science du savoir, chaque phénomène physique tombant dans le cercle de notre connaissance contient toute une armée de propriétés. Il faut certainement beaucoup de bonne volonté et de vanité pour ne choisir parmi celles-là dans la comparaison que précisément ce qui est flatteur.

Essayez de voir ce qu’il en sort, si quelqu’un d’humeur pessimiste reçoit un compliment, et il l’interprète comme si la comparaison avait été soufflée par un sentiment hostile. Il n’existe pas un seul discours admiratif et glorificateur pour lequel le flatteur ne pourrait pas être condamné pour atteinte à l’honneur et calomnie, si un avocat talentueux prend le dossier en main. Par exemple :

« Tu es comme une rose » aurait pu vouloir signifier que la personne est pleine d’épines.

De la même façon :

« Tes jambes sont telles celles de la gazelle » - aussi poilues

« Ton cou est comme celui du bison » - aussi noir

« Ta taille est celle d’une guêpe » - aussi dégoûtante

« Ta peau est comme le velours » - tout aussi démodée

« Ce couple vit comme deux tourtereaux » - radins, ils s’assoient à tour de rôle

« Il est bon comme une bouchée de pain » - aussi sec

« Sa vertu est comme la neige » - fondue depuis longtemps

« Son cœur est d’or » - aussi dur

En un mot, toute la personne est « comme la vie » - aussi moche.

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L’école vaut pour toute la vie[1]

 

« Nous n’apprenons pas pour l’école, nous apprenons pour la vie ». On nous a souvent cité cette maxime classique autrefois.

La psychologie moderne a un peu inversé le propos, en découvrant qu’en ce qui concerne l’utilisabilité des choses apprises à l’école, hormis le calcul et la physique, nous ne sommes pas tellement bien préparés pour faire face aux exigences de notre temps. Par contre les blessures psychiques du souvenir du trac d’avoir eu à bûcher et d’être interrogés nous accompagneront la vie durant, ceci a rendu bien amères nos jeunes années.

Tout homme cultivé connaît le "complexe du baccalauréat" découvert par Sigmund Freud. L’inconscient des titulaires du bac porte en soi une terreur posthume et insensée, transformée en réflexe et en instinct, que la psychanalyse démontre chez tous les détenteurs du titre. Autrefois la secousse a été si intense que même l’examen réussi n’est pas arrivé à faire cesser complètement la peur ressentie, elle nous accompagne tout au long de la vie, elle remonte sous forme de "transferts", elle nous paralyse et nous angoisse dans des moments décisifs face à des tâches qui n’ont rien à voir avec l’école. La plupart des "rêves angoissés" sont causés par le complexe du baccalauréat, mais même sans cela, sans transferts symboliques, nous rêvons souvent d’être en train de passer le bac.

Au demeurant il existe d’autres choses aussi, en rapport avec les années d’école. Pas aussi universelles, mais différentes chez chacun.

C’est il y a longtemps que j’ai fréquenté l’école, mais je n’ai découvert que récemment en moi une de ces blessures scolaires qui apparemment n’a pas guéri.

J’ai dû d’abord prendre conscience de la blessure elle-même, et c’est seulement après, bien plus tard, que j’ai découvert son origine.

Ces dernières années je me suis aperçu que tous les mercredis et samedis à quatre heures de l’après-midi je suis pris d’un malaise. Je deviens inquiet, pris d’une angoisse, je ne trouve pas ma place, j’ai l’impression d’avoir oublié quelque chose de très important, d’urgent, et cela risque de devenir désagréable. Je me casse un temps la tête à grand-peine, puis ça passe.

L’autre jour mes anciens bulletins scolaires me sont tombés entre les mains. Entre autres celui de la classe de quatrième. Mes notes y étaient partout satisfaisantes, sauf en religion, où j’ai eu passable.

Tout s’est brusquement éclairé en moi.

C’est juste – c’était bien cette année-là !

Tous les mercredis et samedis à quatre heures de l’après-midi, j’aurais dû me rendre à l’école évangélique de la Place Deák – or moi j’ai séché ces cours pendant tout un semestre, et j’ai vécu tremblant jusqu’à la fin de l’année sur les conséquences. Il n’y a rien eu de grave, le brave pasteur ne m’en a pas tenu rigueur, il m’a mis un passable, je n’ai pas été puni.

C’est moi qui me suis puni durant toute ma vie, avec ces angoisses.

Les enfants, faites attention !

 

Pesti Napló, 8 février 1933.

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[1] Le même sujet a été repris en 1937 sous le titre Mardi et Vendredi.