Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
ORDRE
Sans commentaire.
Mon ami qui possède une modeste
cabane non loin de la capitale, est lui-même un homme démuni,
c’est peut-être pour cela qu’il est sensible au destin des
miséreux et des sans feu ni lieu. Un soir un mendiant en haillons a
ouvert la porte de sa cuisine. On s’apprêtait à lui faire
l’aumône, mais il refusa : il réclamait du travail,
n’importe lequel, pour mériter le dîner. Quel travail
pourrais-je vous donner, malheureux, lui dit mon ami, je n’en ai pas
moi-même par les temps qui courent. Le mendiant jeta un coup
d’œil vers le jardin, dit qu’il était jardinier
diplômé, il arrangerait la cour et le potager. Ils l’ont gardé,
il a travaillé pendant deux semaines, il a tout remis en ordre autour de
la maison, il a coupé le bois, embelli le jardin, semé des
légumes, élevé des poules. Il ne demanda rien
d’autres en échange que ce qu’on pouvait lui offrir :
le couvert et un gîte au grenier. Deux semaines plus tard, ayant accompli
sa mission, il remercia pour l’amabilité des hôtes et
poursuivit sa route pour tenter sa chance ailleurs. La troisième semaine
mon ami fut convoqué à la mairie du village au sujet de leur
"jardinier". Il crut que la commune comptait l’embaucher. Mais
il ne s’agissait pas de cela. Il s’avéra que mon ami
était en infraction pour ne pas avoir déclaré le jardinier
qu’il logeait. Il fut condamné à cinquante pengoes
d’amende.
Il ne les a pas encore payés. Il dit
qu’il préfère aller en prison. Il le mérite.
Az Est, 21 juillet 1933.