Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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Lettre littÉraire de Frigyes Karinthy

52-lettre littéraire le jubilée des vingt-cinq ans d’un écrivain anglais. L’hebdomadaire humoristique dont il écrit les billets du dimanche, consacre à cette occasion une note spéciale à G. K. Chesterton que notre public connaît de son roman policier humoristique (Le Nommé Jeudi) et de son livre intitulé Orthodoxie.

"Aux noces d’argent" de son génie, dans son billet hebdomadaire, Chesterton se décrit comme une âme simple, par conséquent il s’excuse de trouver du plaisir dans ce métal emblématique, bien qu’il ait le sentiment qu’à son époque l’argent et l’or semblent des valeurs passées de mode (comme il a raison ; voyez la conférence de Londres ![1]), ne considérant pas tant leur importance économique que leur durabilité physique. Il a l’impression que (aussi bien dans la technique et l’industrie que dans l’art et la politique) l’esprit de l’époque préfère les matières moins durables mais que l’on peut produire en masse ; et il est déjà prêt à respecter celui qui avec ses idées, ses pensées, sa foi, sa conviction, a survécu à ses "noces de papier", au point que le bonhomme n’aura pas idée de glorifier ses "noces de plâtre", ou même "noces de caoutchouc", contractées avec lui-même. L’époque préfère la variété constate Chesterton avec résignation, et il suspecte seulement que le moyen choisi pour la diversification n’est pas le meilleur. Lui aussi il aime la diversité, mais il trouve que l’image de la rue est une scène bien plus variée et plus vivante si on la regarde par la même fenêtre, qu’en montant à bord d’une voiture qui file ; en avançant avec le reste, offre un spectacle relativement plus pauvre à son passager. L’enseignement principal qu’il tire de ses vingt-cinq ans de métier est que c’est la constance qui assure la variété la plus colorée.

 

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À un autre endroit Chesterton exprime cette même idée en comparant l’expérience de prison de Cervantès au vécu d’un globe-trotter moderne. Ce qui a permis au premier de voir et de connaître l’époque de Don Quichotte, quand l’âme du second s’est rétrécie en un catalogue de quelques hôtels et de gares.

La stylistique nomme paradoxe la conception qui "ad absurdum" prouve des vérités supposées par une apparente galipette logique, mais elle préfère ranger le paradoxe lui-même parmi les jeux d’esprit ou même les jeux de mots, plutôt que d’y voir un moyen sérieux de connaître des vérités authentiques et éternelles. C’est pourquoi elle préfère le rencontrer plutôt dans la poésie que dans la philosophie.

Si j’écrivais un jour l’histoire du paradoxe, je consacrerais un chapitre à part aux écrivains anglais, depuis Swift, en passant par Oscar Wilde et Bernard Shaw, jusqu’à Chesterton.

Chez Swift le paradoxe est encore cru : il a pour unique but de surprendre, d’effarer, de forcer l’homme à reconnaître sa bêtise avec humilité, son incapacité à la sagesse.

Le paradoxe de Wilde est un jeu gratuit, précieux, produit secondaire d’un scepticisme bienveillant, il provient plus d’un soupçon nourri envers toute vérité que du désir de la recherche d’une nouvelle vérité. « Il existe quelque chose de plus vrai que toute vérité – son contraire. »

Le paradoxe de Shaw est une arme et un moyen de combat, dédié à la défense d’une conviction préétablie. Son unique but est de ridiculiser l’adversaire dans le débat.

Dans la dialectique de Chesterton le paradoxe gagne une nouvelle importance. Il n’est pas une preuve, un étayage par une idée téméraire de la vérité approchée par une logique, mais il est le mode et la méthode d’accession à la connaissance. Un paradoxe doit être accepté, non malgré, mais parce qu’il contredit la logique, au nom de la vérité expérimentée. En effet, selon Chesterton, la vérité expérimentée contredit toujours la logique conventionnelle.

Voici un paradoxe de Chesterton : « Le fou est celui qui a tout perdu, excepté la raison ».

Ce n’est pas un jeu avec les mots. C’est la pure vérité : demandez à la psychiatrie contemporaine.

 

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Dans le monde qu’il appelle "Pays des fées" les mots gagnent tout naturellement une nouvelle signification. Ils brillent, ils étincellent, ils se transforment en diamant, comme par un enchantement, dans le kaléidoscope des cailloux gris, des surnombres qui se font face. Celui qui n’a eu qu’un ouï-dire conventionnel de Chesterton, croit avec les politicards ennuyeux que cet écrivain incarne un cléricalisme (ou un –isme quelconque) conservateur, alors que Chesterton est l’adversaire de tous les –ismes ! Que peut-il faire si l’impuissance des bonnes âmes qui fabriquent les dictionnaires compriment dans un des tomes de l’encyclopédie la grande découverte, la vérité, qui ressemble par hasard au catholicisme, par hasard au positivisme, par hasard aux dogmes des réactionnaires ou par hasard aux dogmes des révolutionnaires ? Ce qui importe n’est pas de savoir à quel point ces choses sont loin les unes des autres, mais à quel point elles sont proches si on les observe de haut.

Dans son gros pavé intitulé "L’homme éternel" qu’il avait destiné comme une réponse polémique à la Vision du monde de Wells, il invite très amicalement son confrère "hérétique" au compromis.

- Écoutez, dear Wells, lui dit-il sur un ton conciliant, vous, quand vous écrivez une nouvelle, vous inventez une Machine du temps géniale dans laquelle des siècles passent en quelques minutes, comment se fait-il que votre imagination vous fasse défaut juste quand on en aurait le plus besoin : à l’occasion de l’écriture du Roman de la Réalité ? Pourquoi voulez-vous être plus papiste que le pape, pourquoi prenez-vous avec autant de sérieux la notion du Temps, que même les physiciens ne prennent plus au sérieux ? Vous croyez avec Darwin que le hérisson se transforme en zèbre de façon "naturelle" et réaliste, et que le singe devient homme ; d’accord, je veux bien le croire aussi, parce que cette transformation légendaire me plaît bien. Mais alors, pourquoi ne croyez-vous pas aussi que la sorcière a transformé le prince Argyre en un crapaud, puis retransformé en prince, alors que ces deux transformations se ressemblent si étrangement ?

 

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Catholicisme !

Chesterton termine ainsi sa confession solennelle :

« J’ai toujours cru en la Vie Simple, dans un sens que ni les puritains, ni les païens n’avaient compris : c’est une question de cœur simple, et non d’habits simples ou d’alimentation simple. Le nouveau puritain ne remercie pas Dieu pour le vin, car il n’en boit pas – le nouveau païen en boit mais ne dit pas merci. L’Omar de la légende, joug et baluchon déjà sur le dos, lorsque au jardin d’Éden il admirait la nature sauvage, était plus près de la vérité que ces deux-là. Par rapport à nos puritains il était païen, alors que par rapport à nos païens il était chrétien. »

 

Színházi Élet, 1933, n°32.

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[1] Conférence de Londres de juin 1933, qui a tenté de sortir de la crise en abandonnant l’étalon or.