Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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EST SOUHAITÉ…

 

Je suis abonné à une célèbre revue technique européenne, qui semaine après semaine m’apporte les dernières idées des savants et des inventeurs qui se consacrent à la civilisation, à l’humanité, au progrès des modes de vie, qui m’apporte les dernières inventions que ces magiciens tous géniaux ont déjà même réalisées. Chaque numéro de la revue est truffé de figures et de descriptions depuis la lime à ongles actionnée par la force électrique jusqu'à la fusée lunaire ; le lecteur repose cette revue en se disant qu’il est ridicule et honteux de vivre comme nous vivons, à ce niveau primitif, stupide et très bas, comme les animaux, on se sent presque un être préhistorique néandertalien par rapport à la perspective brillante que cet organe prophétique nous dépeint quand il évoque les mondes techniques du futur. On jette un regard honteux et désespéré sur son ampoule électrique maladivement vacillante, on porte un regard autour de soi sur la porcherie de béton dans laquelle on habite, puis on monte en soupirant dans l’ascenseur barbare, digne des sauvages, on se lance dans le fourmillement des primitifs tacots à essence, pour aller au cinéma où on subit le film sonore primitif, préhistorique, calé au niveau de l’écriture runique, où les actualités cinématographiques présentent des avions de l’âge de pierre qui, grinçant et cahotant, traversent l’atmosphère.

Ce sont des sentiments de cette sorte qu’éveille cette revue, elle convainc que l’humanité se place au plus bas de l’échelle de l’évolution, et que quelque chose doit advenir pour que la civilisation commence enfin.

Ma revue préférée habituelle n’a qu’une seule rubrique consolatrice et porteuse d’espoir, à la fin des autres rubriques, qui possède une couleur et un caractère semblables aux mal famés concours académiques. Ces concours commencent à peu près comme ceci : « Est souhaité un drame de type médian, qui prenne pour sujet le conflit tragique des efforts politiques économiques des rois du temps des Anjou en matière d’élevage de chevaux. »

Ah, ça, c’est autre chose.

Ce « est souhaité », ne concerne pas le passé, mais le glorieux avenir.

Dans cette rubrique « est souhaité », le responsable de rubrique énumère les trouvailles qui n’existent pas encore, et qu’il faut absolument inventer d’urgence, sinon un malheur est inévitable.

Cette rubrique est une sorte d’aiguillonnement des esprits, afin de houspiller les inventeurs : veuillez vous casser la tête, il y a quelque chose ici qui n’existe pas, c’est ce que vous devez trouver, et non le fil à couper le beurre, comme c’est dans vos habitudes.

En tant qu’adepte du progrès technique, moi-même je ressens le manque de quantité de choses dans ce monde misérable et négligé.

J’ai l’honneur de contribuer dans ce qui suit par quelques modestes idées à cette rubrique « est souhaité ». Il y est question de choses d’une nécessité brûlante, qui ne sont pas encore inventées. Par exemple :

Est souhaité, pour commencer tout de suite par le réveil matinal de l’homme civilisé, un réveille-matin qui ne fait pas de bruit, qui ne dérange pas dans ses rêves les plus doux le malheureux imbécile qui l’a réglé la veille au soir, sans anticiper les conséquences.

À la place d’un réveille-matin, est souhaité au contraire une sorte de dispositif extrêmement raffiné et rempli d’un produit soporifique parfumé qui permet au bonhomme de rêver d’un porte-monnaie à feu continu et à remplissage arrière, à plusieurs coups et inépuisable (ce qui d’ailleurs est également souhaité). Pendant que ce dispositif soulève l’homme de son lit, le baigne, l’habille, l’installe à sa table, va éventuellement aux toilettes à sa place, le ramène chez lui, et ne le réveille avec de doux câlins qu’au moment où on apporte la soupe odorante.

À propos de doux câlin : est souhaitée une femme qui, même si elle est souffrante, se lève, prépare le dîner, et attend, attend, attend, attend, attend son seigneur et maître.

À propos de chanson populaire : est souhaité un procédé médical – chirurgical (avec un système de transplantation), à l’aide duquel le médecin extrait mon cœur et met à sa place un caillou, pour qu’il ne fasse jamais de mal, jamais de peine, pour qu’il n’aime jamais.

À propos de ne jamais aimer, est souhaité tout de suite (machine à écrire, machine à sténographier, machine à composer, etc.) une machine à cour express à structure automatique, qui exécutera les choses habituelles auxquelles tiennent les dames (et sans quoi elles ne nous écoutent pas) : donc une machine qui admire, pleure, promet fidélité éternelle, dit du mal de toutes les autres femmes, accompagne ladite dame quatre ou cinq fois à un petit salon de thé à Buda, jure à la dame n’aimer que son âme, pendant que le propriétaire peut tranquillement vaquer à ses occupations, et il attend que la machine à cour express fasse monter la personne automatiquement, d’elle-même, dans sa garçonnière modeste mais plaisante.

À propos de garçonnière, est souhaité un mécanisme automatique pour accueillir d’anciens camarades de classe qui seraient de passage et qui se seraient dit : tiens, je fais un saut chez toi pour cinq minutes, vieille canaille, te rappelles-tu notre professeur Hosztalek ? Discours que le mécanisme écoute tranquillement jusqu’au bout, mais à l’instant où l’ancien camarade de classe lance légèrement : dis donc, n’as-tu pas par hasard dix pengoes sur toi, j’ai raté le train de Gödöllő ? – bref, à cet instant la machine s’enclenche automatiquement, soulève l’ancien camarade de classe par le col, lui administre deux gifles, et lui hurle à l’oreille : je ne t’ai jamais vu, nous n’avons jamais été en classe ensemble, tiens, voici un pengoe, cinquante fillérs de plus que ce que tu espérais, et maintenant ouste, disparais ! Éventuellement elle peut le faire descendre dans la rue par la fenêtre, et tu peux tranquillement reprendre la lecture du roman d’un de tes confrères écrivain mondialement célèbre, roman dont il est souhaité qu’il soit beaucoup plus mauvais que ce que tu saurais écrire si on te laissait tranquille.

À propos de roman, est souhaité un livre compressible en une boulette, que tu avalerais simplement et il serait lu, il serait compris et appris par cœur (et le principal : que l’on ne pourrait pas t’emprunter) pendant que tu te promènes, tu fais du sport, éventuellement tu dors, et pendant que tu dors, l’œuvre obtient son effet psychique, et au moment où tu te réveilles, tu auras une opinion modérée, détaillée sur l’ordre établi et la situation politique du monde.

À propos de situation politique, est souhaité un boomerang de gaz, contre les attaques de gaz (ou même les factures de gaz), capable de ramasser brusquement le gaz et de le renvoyer à son envoyeur pour qu’il le respire, lui aussi un peu.

À propos de respiration, est souhaité un appareil qui dans l’espace supervise l’émission diffusée par le studio et, Dieu l’en garde, si par malheur il trouve dedans quelque chose comme cette cochonnerie de l’autre jour, alors à l’aide de son filtre sonore automatique il empêche que cette cochonnerie parvienne jusqu’à mon appareil récepteur.

À propos de parvenir, est souhaité un maître d’hôtel à branchement électrique qui sonne s’il présente une addition erronée.

À propos d’électricité, puisque le tram ne m’emmène pas là où je souhaite aller, mais il m’amène là où il a à faire (le long de ses rails !), et en général c’est comme ça dans la vie, sont souhaités des patins à roulettes sous mes semelles, que l’on pourrait éventuellement charger électriquement à la maison. Les patins pourraient posséder aussi des interrupteurs, pour la mise en route ou le changement de vitesse. Et, pour que ce soit encore plus confortable, il pourrait y avoir un petit siège. Éventuellement, les roues pourraient ne pas être montées sous mes semelles, mais pourraient être séparées. On pourrait penser à une voiture automatique.

Mais pour tout cela est souhaité un truc imprimé sur une feuille de papier de couleur, avec au milieu des nombres avec beaucoup de zéros. Et plus il y aurait de ces feuilles, mieux cela vaudrait. Cela permettrait de se procurer une telle voiture automatique.

À la rigueur je me passerai de voiture.

Avant tout sont souhaitées ces feuilles de papier de couleur.

Je me passerai même de l’humoresque.

 

1934