Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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ceci, cela, comme-ci, comme ça

Pure littérature, observation originale

 

Ils ont raison, ils ont raison, ces nouveaux critiques français, qui dernièrement (ils ont des adeptes aussi chez nous) tentent de tracer les limites de la pure littérature, en la distinguant des autres activités intellectuelles, ou plus exactement de toute activité intellectuelle. Elles ne feraient que nous entraver dans l’évaluation de l’art pur. La littérature n’est pas philosophie, la philosophie n’est pas littérature, les anciens ont tout mélangé lorsqu’ils ont épicé la représentation de la vie d’éléments de réflexion. Un écrivain ne doit pas avoir d’autre matière que la vie. L’écrivain doit être bon observateur, il ne doit pas chercher des tenants et aboutissants d’une valeur douteuse parmi ses observations, il doit confier cela à la sociologie et autres sciences ennuyeuses. L’écrivain doit aller les yeux ouverts, il doit observer la vie, les gens, noter et esquisser s’il n’a pas une bonne mémoire. Ma modeste personne aussi a été plusieurs fois rabrouée ces derniers temps pour avoir fait trop de philosophie, plutôt que livrer au lecteur des images de la vie, pour qu’il se reconnaisse comme dans un miroir – naturellement (le modèle étant la vie elle-même) en puisant toujours dans la matière que l’on a à sa disposition, puisqu’il découle clairement de ce qui précède qu’une littérature pure ne peut être que nationale et populaire, étant donné que tout écrivain est membre d’une nation, par conséquent s’il veut écrire vrai, c’est-à-dire s’il veut dépeindre, il ne peut pas représenter autre chose que ce qu’il expérimente, son environnement, la nation et le type le plus généralement répandu de celle-ci, le peuple.

J’annonce par la présente que j’en ai ma dose des reproches, je veux devenir un écrivain ordinaire, je collecterai des observations, je prendrai des notes, et je constituerai mon prochain roman avec lequel j’aurai l’honneur de présenter ma candidature au Prix Nobel à partir de ces notes (ce sont surtout des écrivains populistes qui reçoivent ce prix ces dernières années). Et pour que vous voyiez ma résolution comme sérieuse, dans ce qui suit je vous propose ces deux feuillets pris en sténo ; j’ai "collecté" en les épiant subrepticement la conversation authentique du père Tóni avec le père Pista sur un banc, dans les saveurs de leur simplicité populaire, vierge, chargée de pollen. (Je me porte garant de l’origine populaire du père Tóni et du père Pista, je joindrai sur demande leur pedigree… pardon, leur certificat de baptême.) Donc :

(Le Père Tóni et le Père Pista sont assis sur le banc et fument la pipe.)

Père Tóni : Ben ça se peut que ce soit possible. Je ne dis pas que ce n’est pas possible.

Père Pista : Ben non, on ne peut pas le dire.

Père Tóni : Ben c’est ça qu’on ne peut pas. Je ne suis pas l’homme qui dit non quand c’est oui, ou ceci, ou cela. Car on ne fait tout de même pas cela, si c’est comme ci et si c’est comme ça.

Père Pista : C’est bien vrai, ça.

Père Tóni : Qu’on ne vienne pas me dire non-non ni tiens-tiens. Je sais ce que je sais, moi.

Père Pista : Et comment qu’on sait ce qu’on sait.

Père Tóni : C’est ça ! Parce que ça ne manque pas des qui échangent des mots comme ça, sans savoir pour quoi faire. Que personne ne vienne me dire à moi que ceci et cela – car je suis un homme droit, moi, je dis les choses comme je les pense, il n’est pas né encore celui à qui je ne dirai pas noir sur blanc que comme ci ou comme ça, ou des choses pareilles.

Père Pista : Bien sûr que non.

Père Tóni : Ben non. Certes pas.

Père Pista : C’est ce que je dis, voyez-vous.

Père Tóni : Ben.

Père Pista : Pas vrai peut-être ?

Père Tóni : C’est un peu ça.

Père Pista : Pas seulement un peu ça. Parce que, qu’on ose seulement dire : non-non. Parce qu’on est tous pareils, on s’imagine que non !! Ce sera désormais comme ci ou comme ça ou quoi. Ensuite on se rend compte que ce n’est ni comme ci ni comme ça, mais c’est exactement comme ça doit être. On peut toujours penser comme ci et comme ça, essayer de bricoler les choses autrement, mais à la fin tout reste comme c’est, parce que ce n’est pas possible autrement. On n’a jamais vu que ce ne soit ni comme ci ni comme ça.

Père Tóni : Pure vérité. Les choses doivent être exactement comme ça.

Père Pista : Eh !

Père Tóni : Vous savez les choses, vous.

Père Pista : Je les sais.

Père Tóni : Pourquoi ne les sauriez-vous pas ?

Père Pista : Une fois que les choses veulent être comme ci, elles seront difficilement autrement, ou que ceci et cela, comme ci et comme ça. Puis, vrai ou non, toute chose a un début et une fin.

Père Tóni : Et comment ! C’est comme ça.

Père Pista : Ben vous voyez. Je ne suis quand même pas un imbécile, moi.  Il me croit, celui qui me voit. Il existe toutes sortes de choses, et encore d’autres, mais les choses sont quand même toujours pareilles, quand une chose est là quelque part, elle n’est pas ailleurs.

Père Tóni : Vous êtes un homme intelligent, Père Pista, ça se voit.

Père Pista : Eh bien. Celui qui dit autre chose n’est pas un homme droit. Pourtant on en trouve toujours.

Père Tóni : Il y en a, il y en a toujours. Le monde est grand, on trouve tout dedans.

Père Pista : C’est bien vrai ça.

Père Tóni : Pure vérité.

Père Pista : Eh.

Père Tóni : Vous voyez.

(Ils ont suspendu leur conversation sur ce point, apparemment ils s’étaient communiqué leurs principales observations sur le sujet. Naturellement loin de moi vouloir faire des remarques sur les pourparlers de niveau socratique des deux sages. Si je reconsidère tout de même ma décision exposée plus haut, c’est seulement pour dire qu’en ce qui concerne le Prix Nobel, je le rétrocède à celui de mes lecteurs qui déchiffrera le sujet de la conversation des deux interlocuteurs.)

 

Tolnai Világlapja, 24 avril 1935

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