Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
AllÔ, az est, ici
londres
Arrivée
du reporter volant de Az Est
- Bonsoir. Bonsoir, c’est Az
Est. Merci, je vais bien. J’ai pris mon petit-déjeuner
à sept heures au Hangli. Il est maintenant neuf heures du soir.
Je suis assis au centre du monde, à
Piccadilly. Je salue le Prince de Galles qui est arrivé
aujourd’hui à Budapest dans le cadre d’un échange
d’enfants. Jusqu’à présent je n’ai pas
créé de mode à Londres comme lui à Budapest, mais
j’ai déjà goûté du whisky.
Le voyage en avion a été
idéal. Un vent léger jusqu’à Vienne, puis entre
Prague et Cologne dans un ciel lumineux ensoleillé au-dessus des nuages
j’ai achevé la grille de mots croisés dominicale du Pesti Napló. Plus tard au-dessus
des cimes des montagnes, à trois mille mètres d’altitude,
une vulgaire mouche s’est introduite dans la carlingue. Impossible de la
chasser de notre nez. Je suppose qu’il s’agissait d’une
mouche de Pest. Je ne l’ai pas écrasée.
C’est après le coucher du
soleil que j’ai aperçu la
mer.
Vingt minutes plus tard votre collaborateur
a reconnu l’estuaire de
Ensuite nous avons suivi la ligne de
- I am Karinthy.
L’officier de Imperial Airways qui
est venu me saluer en tant qu’invité de sa compagnie, comprend et
apprécie la plaisanterie. À la sortie de l’aérogare
je suis attendu par László Sima[2], attaché de presse, et
László Ráskay, correspondant à Londres de Az Est et reporter d’une grande
agence de presse américaine. C’est Monsieur l’attaché
qui nous a emmenés dans sa voiture ici, d’où je
téléphone.
Chemin faisant j’apprends le grand
événement politique de ce jour : la déclaration
passablement grave du ministre anglais des affaires étrangères
sur l’Italie, à Genève. On considère sa prise de
position comme le résultat d’un accord anglo-français.
L’image de Londres est caractérisée
par des trams et des bus à étage ainsi que ses immeubles bas
très spécifiques.
J’apprends l’arrivée ici
de son éminence l’archevêque primat Jusztinián
Serédi[3], qui représente le pape au sacre
d’une abbaye de Bénédictins. Cela fait quatre cents ans qu’aucun
primat de Hongrie n’est venu à Londres.
Je n’ai jamais vu nulle part autant
de lumières qu’ici sur Piccadilly. Votre collaborateur a
l’occasion de constater qu’il existe effectivement de nombreuses
rues à Londres[4]. J’en dirai plus demain.
J’ai la conviction qu’à
la fin le monde va tout de même être transformé par l’avion, la radio et la
sobriété anglaise.
Il n’y a jamais eu dans
l’histoire un fossé aussi large entre l’homme et son
travail. Au demeurant il fait très beau. Une dame est assise à
côté de ma cabine de téléphone, elle écrit
une lettre, elle rêvasse et se ronge les ongles. Tous les gens se
ressemblent. Tant mieux. Je me sens comme chez moi ici.
Au revoir, je vous rappellerai demain.
Az Est, 13 septembre 1935.