Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
GAIN DE POIDS,
PERTE DE POIDS
Pour la troisième fois de ma vie je me trouve dans la situation
où le remords d’un régime d’amaigrissement manqué est échangé contre une cure
de prise poids non entamée. Il paraît que je devrais prendre du poids, même
beaucoup, là où il m’est arrivé à d’autres moments d’être trop gros. Je suis,
comme chacun sait, un homme circonspect et respectueux, à l’instar de Marc
Twain qui, quand la maison a pris feu au-dessus de sa tête, s’est assis et a
élaboré un plan détaillé, écrit, sur la méthodologie la plus adéquate et la
plus économique de la lutte contre le feu. Je suis un cheminement
similaire : j’ai parcouru l’histoire universelle des cures de prises de
poids et de perte de poids depuis Thalès à nos jours (Thalès, le philosophe,
était gros), j’ai étudié également les considérations des médecins et des pères
de l’Église. Les premiers ont surtout développé leurs vues dans l’espoir de
grossir, alors que les autres plutôt en matière de cure d’amaigrissement. Selon
l’avis le plus répandu, la cure de grossissement est surtout recommandée à des
maigres, et la cure d’amaigrissement plutôt aux gros, à l’exception des cas
exceptionnels, quand quelqu’un se prépare à un concours mondial d’obésité, ou
dans l’intention de gagner son pain dans un numéro de squelette au service d’un
cirque ambulant. Bien sûr, le goût changeant des époques et des continents
différents joue également un rôle, de même que les points de vue des conditions
politiques et économiques. Chez les femmes, pour qui l’aspect extérieur a une
importance primordiale et compte comme vital, la chose prend un intérêt
particulier, car nombreux sont les hommes qui raisonnent ainsi, s’agissant
d’une dame grosse : j’épouserai cette femme quand les baleines auront
maigri, alors que d’autres jurent fidélité si la graisse parvient à fondre. En
conséquence la plupart des femmes se consacrent avec plus de persévérance à la
problématique du gain et de la perte de poids. C’est toujours elles qui ont été
les adeptes les plus fidèles des procédés scientifiques et des superstitions
charlatanesques, depuis l’incantation jusqu’à la méthode de la planète lune,
qui une fois par mois maigrit jusqu’à disparaître. En grand général on peut
affirmer que la renonciation et la mortification font plutôt maigrir, alors que
l’optimisme et le goût de la vie font grossir. Le prophète Élie qui dans le
désert se nourrissait exclusivement de baies et de sauterelles, aurait été
maigre, contrairement à Confucius qui répandait optimisme, joie et confiance et
que l’on représente bien enveloppé. Il n’empêche que toute baie n’est pas
propre à faire maigrir et les gonflés d’orgueil ne sont pas forcément tous
gros. On dit que la flatterie fait grossir – c’est pourquoi je ne comprends pas
les femmes qui cherchent à mincir afin qu’on les complimente, alors que cela
risque de les faire redevenir dodues.
- Vous
voulez je respecte ce fichu régime, même en mangeant ?
Az Est, 26 juillet 1936.